La Tunisie de Bourguiba à Ben Ali. Un temps politique suspendu.

Introduction

 

Un mois à peine avant le déclenchement des révoltes de décembre 2010, un blogueur et caricaturiste tunisien, traduisant sans doute le sentiment d’une partie de la société tunisienne, décrivait dans un billet intitulé « Le manège du 7 novembre » une Tunisie « coincée dans une faille temporelle », un Ben Ali « maître du temps » appuyant obsessionnellement sur la touche « rewind » afin que « la roue du temps demeure bloquée ». Le soulèvement de décembre 2010, la fuite de Ben Ali et de ses proches en janvier 2011 a brusquement dégagé un horizon bouché, au point de donner à certains une impression de vertige. Le vertige d’un temps politique se remettant à s’écouler.
Quelques jours plus tôt encore, vingt trois ans après ce fameux 7 novembre 1987, date à laquelle il avait pris le pouvoir, le Général-Président ne montrait nul signe de vouloir le céder à quiconque. Avant lui, Habib Bourguiba, premier président de la Tunisie indépendante avait gouverné pendant 30 ans. En plus d’un demi siècle d’indépendance, la République tunisienne n’avait ainsi connu que deux leaders et une transition en forme de « coup d’Etat médical ». Dans la longue dynastie des dix-neuf beys husseinites qui avaient précédé la proclamation de la République tunisienne, trois seulement avaient égalé de telles longévités, un seul avait fait mieux[1].
 
Si ce dernier constat peut paraître a priori paradoxal, c’est qu’il est devenu en quelque sorte naturel d’associer la durée du pouvoir politique incarné par un individu au type de régime dans lequel il s’inscrit. En d’autres termes, le temps politique long est en théorie réservé aux monarques ou aux « hommes providentiels », tandis qu’un Président de République élu par son peuple ne peut que se plier à l’alternance, sinon des partis, du moins des hommes. Or, plusieurs leaders arabes ont semblé depuis des décennies faire exception à cette règle. Et ce n’est sans doute pas par hasard que les révolutions tunisiennes et égyptiennes de l’hiver 2011 ont placé au premier plan de l’agenda politique la refonte des Constitutions, l’amendement des codes électoraux et la tenue d’élections libres. Ce faisant, elles ont remis au centre du débat politique les mécanismes de régulation temporelle de l’exercice du pouvoir.


[1]. Dépassant largement un temps moyen de règne de 13 ans, Ali II (1712-1782) et Sadok (1813-1882) ont régné chacun 23 ans, Hussein 1er, fondateur de la dynastie (1675-1740), 30 ans et Hammouda (1759-1814), 32 ans.
 

Introduction

I- Républiques et monarchies ar...

II- Habib Bourguiba, champion d...

III- Vers la Présidence à vie :...

IV- L’Etat « personnalisé » et ...

V- Ben Ali, la statue et l’horl...

VI- L’Etat privatisé : le temps...

VII- Glissements « constitution...

Conclusion

Sélection bibliographique

Résumé

Un mois à peine avant le déclenchement des révoltes de décembre 2010, un blogueur et caricaturiste tunisien, traduisant sans doute le sentiment d’une partie de la société tunisienne, décrivait dans un billet intitulé « Le manège du 7 novembre » une Tunisie « coincée dans une faille temporelle », un Ben Ali « maître du temps » appuyant obsessionnellement sur la touche « rewind » afin que « la roue du temps demeure bloquée ». Le soulèvement de décembre 2010, la fuite de Ben Ali et de ses proches en janvier 2011 a brusquement dégagé un horizon bouché, au point de donner à certains une impression de vertige. Le vertige d’un temps politique se remettant à s’écouler. ...

Auteur

Siino Fançois
Ingénieur de recherche, CNRS, IREMAM, MMSH.