Jeux d’identités : Sports, Culture et Politique en Méditerranée

Introduction

    À l’occasion des Jeux olympiques d’Athènes en 2004, les organisateurs n’ont pas manqué de souligner que la compétition faisait à cette occasion un « retour à la maison ».[1] Dans le sillage du baron Pierre de Coubertin qui, à la fin du XIXe siècle, restaurait les Jeux olympiques, les Grecs renouaient ainsi, une fois encore, la longue chaîne du temps de l’olympisme qui faisait de la Grèce Antique, suivant une forme de syllogisme significatif, un foyer de civilisation rayonnant et le berceau des pratiques sportives. Si le sport apparait ainsi comme « un phénomène transhistorique et transculturel »[2], il l’est depuis « l’invention de la Méditerranée »[3], qui au XIXe siècle a vu cet espace pensé dans une unité géographique et culturelle marqué par une forme de déterminisme. Cultures sportives et culture méditerranéenne nées d’un même creuset ne pourraient donc que se confondre. À la noblesse de l’esprit agonistique hérité des Grecs anciens répond, de manière plus triviale, la « passion partisane », bien étudiée à Marseille et à Naples[4], mais que l’on retrouve dans la plupart des stades de football ou encore les salles de basket, notamment en Grèce, qui est souvent interprétée par les commentateurs comme l’expression de l’exubérance méditerranéenne. Les stéréotypes se superposent aux mythes, qui n’ont cure d’une réalité historique qui situe le développement des sports modernes bien loin des rivages de la Méditerranée, en Angleterre, au sein des élites au siècle de l’industrialisation[5].

     Il n’en demeure pas moins que ces représentations que le sport produit autant qu’il s’en nourrit participent d’une mémoire commune propre à l’espace méditerranéen que l’historien ne saurait ignorer. À la croisée de l’histoire culturelle et de l’histoire des relations internationales, le sport offre l’opportunité de saisir les enjeux et les rapports de force, entre unité et diversité, de l’espace méditerranéen au cours du second vingtième siècle.
     Cette période est marquée par une médiatisation croissante qui, par le biais des moyens de transmission audiovisuelle[6], renforce non seulement la spectacularisation des compétitions sportives mais aussi leur capacité de mobilisation. Élément essentiel de la culture de masse, « indicateur de la "puissance" et du "déclin" des nations, tantôt révélateur tantôt manipulateur du sentiment public, intégré aux stratégies offensives ou défensives des États, substitut de la guerre et instrument de la diplomatie, le sport est au centre de la vie internationale »[7]. Dans un espace méditerranéen traversé par de fortes reconfigurations géopolitiques, de la décolonisation à la fin supposée de l’histoire[8], qui par l’effondrement des idéologies ouvrirait vers un « choc des civilisations »[9], le sport est dans ces conditions un vecteur privilégié d’affirmations identitaires à de multiples échelles. Quelques cas en fournissent l’exemple.


[1] Official Report of the XXVIII Olympiad. Vol. 1 : Homecoming the Games-Organisations and Operation, Athens, ATHOC, 2005.
[2] Christian Pocciello, « Le sport, un fait social total » in Georges Vigarello (dir.), L’esprit du sport aujourd’hui. Des valeurs en conflit, Paris, Universalis, 2004, p. 101.
[3] Anne Ruel, « L’invention de la Méditerranée », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 32, octobre-décembre 1991, P. 7-14.
[4] Christian Bromberger, Le match de football. Ethnologie d'une passion partisane à Marseille, Naples et Turin, Aix-en-Provence, Mission du patrimoine/MSH, 1995.
[5] Richard Holt,Sport and the British, a modern history, Oxford, Oxford University Press, 1990.
[6] Christian Brochand, « Le sport et la télévision : un vieux couple à histoires », Communication et langages, 92, 1992, p. 25-40.
[7] Pierre Milza, « Sport et relations internationales », Relations internationales, n°38, été 1984, p. 156.
[8] Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, Paris, Flammarion, 1992.
[9] Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997.

Introduction

Réinventer la Méditerranée par ...

Jeux d’identités nationales : P...

Identités locales : confrontati...

Conclusion

Résumé

À l’occasion des Jeux olympiques d’Athènes en 2004, les organisateurs n’ont pas manqué de souligner que la compétition faisait à cette occasion un « retour à la maison ». Dans le sillage du baron Pierre de Coubertin qui, à la fin du XIXe siècle, restaurait les Jeux olympiques, les Grecs renouaient ainsi, une fois encore, la longue chaine du temps de l’olympisme qui faisait de la Grèce Antique, suivant une forme de syllogisme significatif, un foyer de civilisation rayonnant et le berceau des pratiques sportives. Si le sport apparait ainsi comme « un phénomène transhistorique et transculturel » , il est depuis « l’invention de la Méditerranée » , qui au XIXe siècle a vu cet espace pensé dans une unité géographique et culturelle marqué par une forme de déterminisme. ...

Auteur

MOurlane Stéphane
Maître de conférences en histoire contemporaine, Université d'Aix-Marseille, TELEMME, MMSH