L'exil palestinien : une histoire visuelle

Introduction

Ecrire une histoire visuelle de l’exil palestinien, c’est regarder l’histoire des réfugiés telle qu’elle a été perçue par les personnes et les groupes politiques, les organisations humanitaires, les Etats impliqués dans le conflit israélo-palestinien. Le rôle des images, prépondérant dans toute guerre, a été accru dans ce contexte. Terre trois fois sainte, terre d’une lutte symbolique et surtout d’un conflit territorial et politique, la Palestine historique a de longue date été un enjeu qui a dépassé ses frontières. Depuis longtemps, l’histoire s’élabore selon l’image que les uns et les autres ont pu produire et faire partager au plus grand nombre pour s’assurer des appuis, des relais internationaux, globaux, créer de l’empathie, des identifications.
En un sens, les images autorisées, celles qui ont été ou n’ont pas été largement diffusées sur les exilés de 1948 puis de 1967, sont une part de leur histoire et sa métaphore : elles reflètent le déroulement historique et l’ont même pour une part façonné. L’histoire des réfugiés palestiniens, et au-delà des Palestiniens, a, d’une certaine manière, été celle de l’accès à des formes de visibilité historique à partir du vide qui avait suivi l’exode de 1948 (la nakba[1]), et la création d’un seul des deux Etats prévus par le Plan de partage de la Palestine historique de l’ONU en 1947. Après 1948, cette disparition des Palestiniens, cette sortie hors du champ de l’histoire se sont aussi construites sur un effacement visuel tissé par une série d’images.
L’histoire et la politique sont partout façonnées par les images, les possibilités de présence, de visibilité de la mémoire et souvent par les concurrences des mémoires. Mais ici, plus qu’ailleurs, l’invisibilité/les visibilités ont travaillé les perceptions, les rêves, les peurs, les imaginaires des Palestiniens, des Israéliens et des spectateurs étrangers plus ou moins engagés dans ce conflit.
On le comprend aisément, cette histoire visuelle est tout autant celle que l’on peut ou a pu voir que celle du manque, de l’absence, de vastes points aveugles. L’analyse des images existantes est donc souvent une lecture en creux et il est tout autant question de regarder ce que l’on a que ce que l’on n’a pas.
Les documents visuels mis à disposition par les télévisions de la Méditerranée sont eux aussi extrêmement partiels sur ce sujet. Pour les comprendre, je m’appuierai sur les divers fonds d’archives visuelles existants : tout d’abord les films et les photos de l’humanitaire (essentiellement ici de la Croix-Rouge et de l’UNRWA[2]) qui étaient adressés surtout à un public européen et américain ; des archives israéliennes (les newsreels de différents studios privés, les films de fiction sionistes pré-48, des films institutionnels israéliens, puis ceux de réalisateurs indépendants, des photos et images d’artistes) ; les films du cinéma révolutionnaire, les photographies, créations vidéos, documentaires et fictions de réalisateurs et d’artistes palestiniens.
En 1948, l’humanitaire est en effet venu au secours des exilés et a envahi l’image des premières années. Il s’est appuyé sur une iconographie et un imaginaire biblique partagés sur la Palestine, celui de la terre sainte du regard des touristes et des pèlerins venus du monde entier. Cette vision mythifiée du territoire a participé à dissocier les exilés de leurs appartenances. L’humanitaire a ainsi concentré son regard sur la catégorie universelle du réfugié, sur une errance présentée comme celle d’un dénuement éternel sans raison ni cause : il a tissé un documentaire sans histoire de l’exil. Les camps, la réinstallation par le travail dans les principaux pays d’accueil des réfugiés (Liban, Syrie, Jordanie) entendaient pallier le déracinement.
Aux mêmes moments, l’iconographie et la cinématographie sionistes, puis israéliennes, mettaient en scène le rêve et l’aventure sionistes à partir de représentations clivées du territoire investi par les nouveaux arrivants. Les seuls réfugiés envisagés par ces documents visuels étaient les réfugiés juifs ayant fui l’Europe et échappé à la shoah. La guerre de 1948 est absente. Les pionniers israéliens semblaient naturellement prendre possession de lieux et de villages vides présentés comme des vestiges immémoriaux qui devenaient alors les décors tranquilles du pays à venir.
Dans les années 1960-1980, dans le sillage de la renaissance du mouvement national, les Palestiniens sont entrés dans le champ visuel de l’histoire avec le cinéma révolutionnaire. Des cinéastes-militants liés à l’OLP ont fait de la lutte l’avenir de la terre et d’un peuple qui montrait son visage et crevait l’écran noir de son absence.
Après la débâcle de l’OLP au Liban en 1982, le cinéma, comme la résistance, a été relancé depuis l’intérieur, depuis les Territoires occupés où des cinéastes indépendants se sont tournés vers la fiction. Au cours de cette décennie 1980, l’image nationale et institutionnelle a volé en éclats.
Le regard est au fil du temps devenu plus personnel, intime, plus libre, et les formes visuelles ont été plus hétéroclites : court-métrages, documentaires de création, art vidéo. Les cinéastes, les photographes, les artistes et vidéastes palestiniens ont subverti la terre fragmentée pour s’inventer un autre territoire, des passages et des retours visuels, poétiques, parfois tragi-comiques, un pays virtuel.
A la même période, la fin des années 1990 et surtout le milieu des années 2000, en Israël, les traces de l’histoire de l’exil ont commencé à être regardées par le cinéma, la photographie. Le passé de la guerre de 1948 est entré dans le champ, les décors de la fiction des pionniers sont devenus des marques de l’histoire dans le paysage.


[1] Ce qui signifie la catastrophe et est le nom donné par les Palestiniens à l’exode de 1948.
[2] Après l’exode, en 1948, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) en Cisjordanie, La Ligue des Sociétés nationales de la Croix-Rouge au Liban, en Transjordanie et en Syrie, et les Quakers dans la bande de Gaza sont mandatés pour délivrer de l’assistance aux réfugiés arabes. A partir d’avril 1950, l’UNRWA (Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine) est créé pour prendre le relais des différentes services de l’humanitaire. Son mandat pensé comme provisoire sera reconduit jusqu’ aujourd’hui.

Introduction

I. Un territoire mythifié, des ...

II. L’humanitaire envahit le re...

III. Les images de l’enracineme...

IV. Les images nationales du ci...

V. La création visuelle palesti...

VI. Les traces de la guerre de ...

Bibliographie

Résumé

Ecrire une histoire visuelle de l’exil palestinien, c’est regarder l’histoire des réfugiés telle qu’elle a été perçue par les personnes et les groupes politiques, les organisations humanitaires, les Etats impliqués dans le conflit israélo-palestinien. Le rôle des images, prépondérant dans toute guerre, a été accru dans ce contexte. Terre trois fois sainte, terre d’une lutte symbolique et surtout d’un conflit territorial et politique, la Palestine historique a de longue date été un enjeu qui a dépassé ses frontières. Depuis longtemps, l’histoire s’élabore selon l’image que les uns et les autres ont pu produire et faire partager au plus grand nombre pour s’assurer des appuis, des relais internationaux, globaux, créer de l’empathie, des identifications...

Auteur

Latte Abdallah Stéphanie
"Chargée de recherche en histoire sociale contemporaine et en anthropologie, CNRS, IREMAM, MMSH"