L’émigration irrégulière en Tunisie après le 14 janvier 2011

Introduction

            L’émigration irrégulière, communément dénommée la harga[1], s’est développée entre les côtes tunisiennes et italiennes au début des années 1990, lorsque l’Italie qui avait ratifié les accords Schengen a décidé d’imposer des visas d’entrée pour les ressortissants tunisiens. Les difficultés économiques de la Tunisie, le chômage, le développement inégal des régions, l’injustice sociale, la pression démographique et l’intensification de la répression politique par le régime Ben Ali ont créé des conditions propices à l’émigration irrégulière. Bien qu’il soit très difficile de saisir la portée de la Harga, les statistiques officielles montrent qu’après une tendance à la baisse des interceptions en mer entre 2009 et 2010[2], le phénomène a explosé en 2011. Puisque certaines zones d’ombre persistent, de nombreuses questions se posent alors sur ce sujet, aussi bien en Tunisie que dans les pays d’accueil. Les agitations politiques qui se sont multipliées depuis décembre 2010 ont certes entrainé une baisse de la croissance économique, mais il faut admettre que leurs effets n’ont été visibles que quelques mois après le changement du régime politique. Alors quel est l’élément déterminant qui a provoqué une psychose de départ ? Comment explique-t-on cette émigration massive alors qu’on croyait que la privation des Tunisiens de leur liberté était l’un des principaux facteurs de la Harga ?
            Avec la « transition démocratique », la Tunisie a connu par ailleurs un foisonnement[3] des associations de défense des droits de l’homme. Ces dernières militent aussi bien pour changer la perception du problème par les décideurs politiques que pour limiter les contraintes imposées aux migrants. L’assouplissement du financement des associations, après la chute du dictateur et le climat de liberté ont permis à la société civile d’agir amplement en faveur des émigrés et de sensibiliser l’opinion publique au problème des disparus. Cette question est médiatisée particulièrement à l’occasion de la mobilisation des familles de victimes de la Harga ou lorsque l’exercice de communication qui suit les drames sème le doute sur la transparence des autorités tunisiennes et italiennes.
            Les gouvernements tunisiens successifs se trouvent tiraillés entre les pressions de l’Union Européenne qui cherche à faire perdurer les accords bilatéraux signées avec le régime déchu[4] et leur propre conviction qu’il faut adresser un message positif à la société civile, à la jeunesse tunisienne et aux familles des victimes de la harga, en négociant un cadre de coopération qui respecte la dignité des émigrants tunisiens. Même si le calendrier n’est pas le même, la mobilisation de la société civile n’est peut être pas contradictoire avec les objectifs fixés à long ou à moyen terme par les pouvoirs publics. S’agit-il alors d’une question qui unit les Tunisiens à un moment où les sujets de divergence se multiplient ?  


[1] Littéralement le mot Harga signifie en arabe brûler. Dans le sens figuré cette expression est utilisée pour désigner la traversée irrégulière de la Méditerranée dans le sens sud/nord. Voir :MABROUK Mehdi, «  El Harikoun, pour une approche sociologique du milieu social des immigrés clandestins et de leur imaginaire », Revue tunisienne de Sciences Sociales, n°125, 2003, 15-49.
[2] D’après les statistiques du ministère de l’Intérieur tunisien, les gardes frontières ont intercepté 1492 Tunisiens en 2007; 1090 en 2008, 507 en 2009 et 499 en 2010.
[3] Voir Mission de formation. Programme d’appui à la société civile en Tunisie, Rapport de diagnostic sur la Société Civile tunisienne, Mars 2012.
[4] Entre les gouvernements italien et tunisien il y a eu un échange de lettres le 6 août 1998, relatif : à la coopération bilatérale pour la prévention et la lutte contre l’immigration clandestine, à la réadmission des ressortissants des deux pays, au renvoi au pays de provenance directe des ressortissants des pays tiers autres que ceux des pays membres de l’Union du Maghreb et à la restitution des personnes réadmises, gazetta ufficiali, n°11, du 15 janvier 2000 (non publié dans le Journal Officiel de la République Tunisienne). Le 13 décembre 2003, un accord assurant un contrôle renforcé des frontières est signé entre les deux gouvernements et le 28 janvier 2009 un autre accord visant à faciliter la délivrance des laisser passer pour l’expulsion des Tunisiens dépourvus de documents de voyage est signé. Un accord cadre franco-tunisien est signé le 28 avril 2008, sur la gestion concertée des migrations et le développement solidaire, disponible sur www.ambassadefrance-tn.org . Force est de constater que le gouvernement tunisien a privilégié les accords bilatéraux aux accords communautaires.

Introduction

I. Haraguas et disparus après l...

II. L’imbroglio de la politique...

Conclusion

Résumé

L’émigration irrégulière en Tunisie après le 14 janvier 2011 et le problème des disparus L’émigration irrégulière, communément dénommée la harga , s’est développée entre les côtes tunisiennes et italiennes au début des années 1990, lorsque l’Italie qui avait ratifié les accords Schengen a décidé d’imposer des visas d’entrée pour les ressortissants tunisiens. Les difficultés économiques de la Tunisie, le chômage, le développement inégal des régions, l’injustice sociale, la pression démographique et l’intensification de la répression politique par le régime Ben Ali ont créé des conditions propices à l’émigration irrégulière. Bien qu’il soit très difficile de saisir la portée de la Harga, les statistiques officielles montrent qu’après une tendance à la baisse des interceptions en mer....

Auteur

Ben Khalifa Riadh
Université de Tunis- Institut supérieur des Sciences appliquées en humanités