Le processus migratoire de l'Algérie vers la France, 1871 - 1974

Introduction

En janvier 1959, le programme télévisé « Un dimanche en France » consacre une émission au music-hall marseillais. Le reportage s'ouvre sur une immersion dans le quartier Belsunce qui abrite la salle de concert, l'Alcazar. Pendant que la caméra s'arrête sur des visages dans la foule, le commentateur évoque les migrants qui fréquentent le Cours Belsunce, les commerces plus ou moins licites auxquels ils se livrent et le caractère à la fois mystérieux et populaire qu'ils insufflent, d'après lui, au quartier. Cette courte introduction, qui fait échos aux célèbres descriptions d'Albert Londres, met en scène les deux questions qui scandent de manière récurrente l'histoire de l'immigration, celle de la présence des immigrants et indirectement celle de leurs représentations.
 
« Le quartier Belsunce » (1959)
 
            Les phénomènes migratoires s'inscrivent en France dans un temps long et constitutif de l'espace national. A partir de 1850, ils prennent une ampleur remarquable alors que commence la révolution industrielle et que le recrutement de travailleurs migrants devient une nécessité pour combler le déficit démographique et répondre aux besoins de main-d’œuvre. Les flux les plus importants proviennent dans un premier temps d'Italie, de Pologne, de Belgique ou d'Espagne. A compter du milieu du XXe siècle, à l'exception du Portugal, les migrations extra-européennes en provenance du Maghreb, puis de Turquie, d'Afrique et d'Asie prennent une importance croissante. Dans cet ensemble, les flux en provenance d'Algérie se caractérisent par la longue durée dans laquelle s'inscrit le processus migratoire et par la complexité des liens qui se sont tissés entre les deux pays.
 
            Selon les termes de l'historien Claude Liauzu, les migrations en tant que « phénomène social total, sont révélateurs des déséquilibres, des crises des sociétés et des relations qui s'établissent entre elles »[1]. Le processus migratoire de l'Algérie vers la France a économiquement donné lieu à un marché du travail élargi mais celui-ci n'a pas été régi par les seules lois du marché ; il a également existé politiquement en tant qu'objet d'un rapport de force. L'émigration algérienne en tant que telle, c’est-à-dire en tant que réalité empirique qui existe indépendamment de la création de l'Etat-nation[2], devient manifeste après l'insurrection de 1871 marquant la fin de la conquête française ; elle est officiellement suspendue un siècle plus tard, en 1973.
 
            Durant ce siècle, la France connaît deux guerres mondiales, plusieurs crises économiques et une véritable reconfiguration de son système socio-économique. L'Algérie, colonisée depuis 1830, évolue vers une prolétarisation du milieu rural, une rupture de sa structure sociale et une dépendance économique âpre et croissante. L'histoire du processus migratoire entre l'Algérie et la France se tient entre ces deux espaces et semble indissociable de la colonisation qui lie irrémédiablement ces deux entités et leurs réciproques bouleversements. Comment cette complexité des liens entre les deux pays a-t-elle contribué à modeler la structure du processus migratoire ? Dans l'irrévocable face à face qui perdure par-delà la décolonisation, quelles réponses ont été apportées à des enjeux internes dans une situation d'antagonisme et, dans le même temps, de constante interdépendance ?
 
          L'étude du phénomène migratoire révèle des liens de causes à effets qui mettent en relation les premières conséquences de la colonisation d'une part et les mécanismes de l'émigration d'autre part (1871-1939). Cette étude permet par ailleurs de discerner les contradictions intrinsèques au processus migratoire et à la logique impérialiste ; celles-ci atteignent un point culminant pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre d'Algérie (1939-1962). Les accords qui ponctuent la fin du processus permettent enfin de rendre compte de la manière dont les conditions de l'émigration ont été renégociées par les deux pays aux lendemains de l'indépendance (1962-1974).


[1]LIAUZU Claude, Histoire des migrations en Méditerranée occidentale, Bruxelles, Editions Complexe, 1996.
[2]Selon la stricte définition juridique, l'immigration algérienne ne commencerait qu'en 1962 avec l'indépendance et la création de l'Etat algérien.

Introduction

I / De la colonisation à l'émig...

II / Le processus migratoire en...

III / Négocier l'innommable, le...

Conclusion

Bibliographie

Résumé

En janvier 1959, le programme télévisé « Un dimanche en France » consacre une émission au music-hall marseillais. Le reportage s'ouvre sur une immersion dans le quartier Belsunce qui abrite la salle de concert, l'Alcazar. Pendant que la caméra s'arrête sur des visages dans la foule, le commentateur évoque les migrants qui fréquentent le Cours Belsunce, les commerces plus ou moins licites auxquels il se livrent et le caractère à la fois mystérieux et populaire qu'ils insufflent, d'après lui, au quartier. Cette courte introduction, qui fait échos aux célèbres descriptions d'Albert Londres, met en scène les deux questions qui scandent de manière récurrente l'histoire de l'immigration, celle de la présence des immigrants et indirectement celle de leurs représentations. ...

Auteur

Brahim Rachida
Doctorante en histoire sous la direction de Gérard Noiriel, EHESS.