Contexte
Larbi Ben Barek
Stéphane Mourlane
Larbi Ben Barek est l’un des plus grands joueurs du football marocain et français : son talent et son aisance technique ont marqué durablement les esprits. Couvert d’éloges par la presse française, il est aussi l’objet de discours révélateurs de l’imaginaire colonial des années 1930 à 1950.
Ben Barek est né à Casablanca à une date incertaine, entre 1914 et 1917. Il commence à joueur au football lors de tournois inter-quartiers. Alors qu’il est menuisier, il porte les couleurs du modeste Football club Ouatan, puis en 1934, de l’Idéal Club Marocain qui évolue en deuxième division marocaine. Ses qualités sont très vite remarquées par l’US Marocaine, trois fois championne d’Afrique du Nord depuis 1930. Le club amateur lui propose en dehors des terrains un emploi de pompiste en 1936. Dès l’année suivante, il est sollicité par l’Olympique de Marseille qui participe au championnat professionnel de football instauré en 1932. Le club phocéen profite alors des réseaux de négociants, autour d’un port développant un trafic important avec l’Afrique du Nord, pour attirer des joueurs issus des populations européennes ou indigènes. Ben Barek, qui ne débarque sur le Vieux-Port qu’en mai 1938 (après avoir fait monter les enchères de sa rémunération), est la figure marquante au sein de cette filière. En 1939, il est vice-champion de France et compte 4 sélections en équipe de France. Dès la première, il s’illustre dans un contexte difficile : la France affronte l’Italie, double championne du monde, à Naples dans un stade qu’embrase la ferveur nationaliste encouragée par le régime fasciste. Quelques mois seulement après la publication du « Manifeste de la race », qui marque un tournant racialiste dans la politique mussolinienne, Ben Barek doit affronter les injures racistes du public napolitain. En France, la presse ne tarit pas d’éloges à son égard. En 1939, le grand quotidien sportif L’Auto organise une consultation auprès de ses lecteurs pour attribuer au joueur de Casablanca un surnom : ce sera « la perle noire ». Car, s’il est présenté comme un musulman, la presse l’assimile aux populations d’Afrique noire. Ainsi, les commentaires, comme les caricatures, s’appuient sur les préjugés et les stéréotypes coloniaux et racialistes de l’époque, mettant en avant ses qualités « naturelles » qui font de lui un « félin », demeuré toutefois en dehors des terrains « un grand enfant ».
La guerre le conduit à rentrer au Maroc - ne disposant pas de la nationalité française, il n’est pas mobilisé – où il retrouve l’US Marocaine. La paix revenue, il signe au Stade français qui, sous la direction de l’entraîneur franco-argentin Hellenio Herrera, entend donner un nouveau souffle à l’un des plus vieux clubs français. Les résultats sont toutefois décevants. Larbi Ben Barek décide alors de suivre son entraîneur à l’Athletico Madrid. La presse française se divise sur ce transfert, dans un contexte où les départs de joueurs français à l’étranger ne sont pas courants. Certains y voient la consécration de son talent, tandis que d’autres lui reproche un caractère plus vénal que patriotique. La question de la nationalité de Ben Barek est implicitement posée, d’autant plus qu’il ne recueille plus les faveurs du sélectionneur de l’équipe de France, Gaston Barreau. Toujours est-il qu’il remporte deux titres de champion d’Espagne (1950 et 1951) avec les Colchoneros. C’est à Marseille, où le public ne l’a pas oublié, qu’il vient achever sa carrière entre 1953 et 1955. Il connaît alors une ultime sélection nationale face à l’Allemagne en 1954 dans des conditions particulières. C’est en effet sous la pression de l’opinion qu’il est rappelé, à la suite du match organisé entre la France et une sélection d’Afrique du Nord au profit des sinistrés du terrible tremblement de terre qui a ravagé la région d'Orléansville en Algérie en septembre 1954. Ben Barek, qui aurait souhaité porter les couleurs tricolores à cette occasion, mais qui est considéré comme trop vieux à près de 40 ans, est capitaine de la sélection nord-africaine qui l’emporte largement (3 buts à 1) au Parc des Princes, le 7 octobre 1954. Il continue à jouer au ballon rond en Algérie àUnion sportive musulmane Bel-Abbès puis en Belgique.
Considéré comme l’un des plus grands joueurs de football de l’histoire, Ben Barek a vécu toute sa carrière la tension entre son identité nationale (marocaine) et son identité sportive (française). Il disparaît en 1992 dans une solitude qui tranche avec la place qu’il tient dans la mémoire des passionnés de football de part et d’autres de la Méditerranée.
Bibliographie :
Sportifs marocains du monde. Histoires et enjeux actuels. Acte du colloque international de Casablanca, 24-25 juillet 2010, Paris-Casablanca, Seguier-La Croisée des Chemins, 2011, 203 p.
Boli Claude, « Larbi Ben Barek : la première vedette maghrébine du football français », Migrance, n°29, 2008, p. 13-19.
Gastaut Yvan, Boli Claude, Grognet Fabrice (dir.), Allez la France ! Football et immigration, Paris, Gallimard-CNHI-Musée national du sport, 2010, 191 p.
Mourlane Stéphane, « l’OM, un club aux couleurs de l’immigration maghrébine à Marseille ? », Migrance, n°29, 2008, p. 117-121.
Gastaut Yvan, « France-Afrique du Nord », http://www.wearefootball.org/un-jour-un-match/2/lire/france-afrique-du-nord/
Mahjoub Faouzi, « Ben Barek, la perle noire », http://www.om4ever.com/ListeJoueurs/TopBenBarek.htm