Contexte
« Tanger »
Gilbert Buti
Ville de passage et port de transit – Hercule, épuisé, y aurait fait escale – placée entre deux espaces maritimes majeurs, Tanger est située sur la rive nord du Maroc, dans le détroit de Gibraltar, à 12 km à l'est du Cap Spartel, là où commence l'Atlantique et où Platon aurait placé l’Atlantide. Tanger ou Tandja – forme arabisée de Tinjis, nom d'origine berbère utilisé sous l'Empire romain – a longtemps été convoité en raison de cette position stratégique.
Les Phéniciens, Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Portugais, Espagnols et Anglais ont tour à tour contrôlé le site depuis sa fondation au VIIe siècle avant notre-ère. Sous le nom de Tangi, elle est sous l’Empire romain la capitale de la Mauritanie Tingitane.Passée sous le contrôle musulman en 707, Tandja est une base arabe lors de la conquête de l'Espagne en 711 ; toutefois son rôle dans les échanges entre l'Afrique du Nord et l’Ibérie (Al-Andalus) décline ensuite au profit de Ceuta.
Plusieurs fois attaquée par les Portugais – notamment par Henri le Navigateur en 1437 – Tanger demeure sous leur contrôle pendant plus de deux siècles. En 1671, la ville passe brièvement sous la domination des Anglais préoccupés d’en faire une base pour leur flotte en Méditerranée (tours, remparts et soldats pour près de la moitié des 3 000 habitants). L'occupation européenne, la position géographique ainsi que la population à dominante militaire, ont entravé le développement de structures urbaines et d’institutions comparables à celles que l’on trouve dans les villes de l'intérieur du Maroc.
En 1684, « l’armée du Rif » chasse les Anglais de Tanger et en 1700, le bombardement par les galères et vaisseaux de Louis XIV ne ramène pas une nouvelle occupation européenne. La ville, reconstruite et peuplée d'immigrants venus du Rif central, échappe à l’autorité des sultans ottomans incapables de se passer des pouvoirs locaux qui tiennent la cité et limitent la présence européenne.
Dans les années 1830, les Anglais interviennent à Tanger pour mettre fin à la course marocaine (active surtout à Salé, sur l’Atlantique), tandis que les Français, après un nouveau bombardement de la ville, signent en 1844, la « paix de Tanger » par laquelle le Maroc s’engage à chasser de son territoire Abd el-Kader. Le rôle commercial de Tanger s’affirme et, au milieu du XIXe siècle, 20 % du commerce d'exportation du Maroc passe par ce port qui est devenu le principal point d'embarquement pour les pèlerins en direction de La Mecque. De 5 000 habitants en 1810 la population passe à environ 20 000 en 1878, dont un cinquième de Juifs et environ 4 000 Européens. Cette croissance et cette ouverture internationale s’accompagnent de structures nouvelles : « conseil sanitaire », écoles, journaux.
Au début du XXe siècle Tanger est au centre de tensions internationales. En 1905, le Kaiser Guillaume II y rejette, dans un fameux discours, les accords passés en 1904 par la France avec le Maroc. En 1912, la position stratégique vaut à la ville un statut spécial : séparée du Maroc elle forme, avec ses environs, la « zone internationale de Tanger » (statut suspendu en 1940-45 lorsque l'Espagne franquiste profite de la guerre européenne pour attacher Tanger à son protectorat). Sous ce statut, Tanger attire de nombreux immigrants venus de l'intérieur marocain et connait un développement de ses activités financières (85 agences bancaires en 1950 contre 4 en 1900) mais non industrielles et portuaires en l’absence d’arrière-pays et de réelle politique économique. Malgré sa séparation d'avec le reste du Maroc, Tanger a pris part à la lutte pour l'indépendance ; c’est là que Mohammed V a revendiqué, en 1947, le droit du Maroc à l'indépendance. La perte du statut international après 1956 et la fuite des capitaux ont pénalisé l'économie de la ville qui doit faire face à une forte croissance démographique : 293 000 habitants en 1982 et 700 000 en 2008. Le tourisme est une ressource nouvelle pour « la perle du détroit de Gibraltar » qui est devenue la deuxième ville industrielle du pays avec l'implantation d'un centre de production automobile (Renault), le développement des relations avec les ports espagnols (Málaga et Algésiras) et surtout l’entrée en service, en 2007, dans la zone franche d’exportation (1999) de Tanger-Med, plateforme portuaire, industrielle et logistique (Medhub, 2008). En 2009, le lancement des travaux de construction de Tanger-Med 2 a pour objectif de créer un centre majeur dans la carte mondiale du transport maritime de conteneurs et un port de premier ordre entre Méditerranée et Atlantique (20 % du transport maritime mondial de conteneurs)
Bibliographie :
J.-L. Miège, Le Maroc et l’Europe, 1830-1894, 4 volumes, Paris 1961-1963
A. El Gharaoui, La terre et l'homme dans la Péninsule Tingitane, 2 volumes, Rabat, 1981
Un Bendaoud, et Mohammed Maniar (éd.), Tanger 1800-1956. Contribution à l'histoire récente du Maroc, Rabat et Tanger 1991.
Mansour, Mohamed El, « Tandja », Encyclopédie de l'Islam, deuxième édition, 2012.