Contexte
Carthagène (Espagne)
Gilbert Buti
Située dans la région de Murcie, au nord de l’Andalousie, le passé de la ville de Carthagène et son destin sont étroitement liés à son port. Celui-ci occupe un site naturel extraordinaire, à l’abri des vents (sauf du « vent africain » comme le notait l’historien romain Polybe) et admiré par plusieurs visiteurs à commencer par Cervantès. Ce site semble avoir été occupé depuis près de 3000 ans, mais au-delà de diverses légendes, la ville aurait été fondée vers 227 avant notre ère, après la victoire sur les Ibères par le général carthaginois Hasdrubal, beau-frère du général Hannibal.
Sous le nom de Qart Hadasht (« Nouvelle Ville »), elle contrôle les gisements de minerais du sud-est de la péninsule ibérique et sert de base de départ en 218 avant notre ère à l’expédition d’Hannibal lors de la Seconde Guerre punique. Ce sont cependant les Romains, au temps de la conquête de Scipion l’Africain (209 av. notre ère), qui la nommèrent Carthago Nova. Elle devint rapidement une des plus importantes cités romaines de la Péninsule ibérique : dotée, sous Auguste, d'un forum et d'un théâtre face à la mer, elle devient sous Tibère le siège d’une juridiction administrative et à la fin du IIIe siècle de notre ère la capitale d’une province de la Tarraconaise.
Pillée par les Vandales au début du Ve siècle, la cité se redresse, accueille en 461 une flotte destinée à attaquer le royaume vandale en Afrique, mais la bataille de Carthagène est un désastre pour la marine romaine. Un temps occupée par les peuples germaniques, elle est reconquise en 550 par l’Empereur byzantin Justinien, qui en fait la capitale de la Province de Spania sous le nom Carthago Spartaria. Prise par les Wisigoths en 622, elle passe peu après sous la domination des Arabes qui la fortifient et la dotent d’une mosquée.
En 1245, elle est prise par les Castillans qui y créent en 1270 l'Ordre de l'Étoile destiné à la défense maritime de la Couronne de Castille, et restaurent le diocèse de Carthagène. Lors de la Reconquista, la perte du siège épiscopal au profit de Murcie, entrave le développement urbain, économique et démographique de la ville.
Un temps annexée par la couronne d’Aragon, Carthagène passe définitivement à la Castille au début du XIVe siècle ; elle devient un port de commerce actif et surtout, à partir des règnes de Charles-Quint et de Philippe II, une importante base navale pour la flotte royale, avec le renforcement de ses murailles et la construction de fortifications côtières (Fuerte de Navidad). Cependant, au XVIIe siècle, comme de nombreuses villes espagnoles, Carthagène est frappée à plusieurs reprises par la peste. Malgré ces épreuves, son port est la principale base militaire dans la politique méditerranéenne des rois d'Espagne ; il occupe une position stratégique pour leurs relations avec les possessions italiennes et dans leur lutte contre les corsaires barbaresques.
Au XVIIIe siècle, la fonction navale de Carthagène s’affirme ; elle devient la capitale du département militaire de Méditerranée et accueille de nouveaux bâtiments comme l'Arsenal et l'Hôpital de la Marine.
Au XIXe siècle, Carthagène connaît de nombreuses difficultés ; pour échapper à la misère, après 1830, de nombreux Carthaginois s’établissent en Algérie; en 1873, la ville, qui est sensible à une formule fédéraliste, s’est soulevée contre la Première République espagnole, mais est reprise dès 1874 par les troupes gouvernementales. La perte des dernières colonies et de la flotte de guerre à la suite de la défaite de l’Espagne contre les États-Unis (1898) ont eu des effets directs sur l’économie locale alors que de l'exploitation minière, dans la Sierra minera de Cartagena-La Unión, enregistrait un regain d’activité au début du XXe siècle.
Durant la guerre civile (1936-1939), Carthagène a été la seule base navale contrôlée par les Républicains et la dernière ville à être occupée par les Franquistes (mars 1939). Après la Seconde Guerre mondiale, des industries s’établissent autour des bassins portuaires (chantiers navals, industries chimiques), participent au développement urbain, mais traversent à la fin du XXe siècle de graves difficultés. Carthagène qui compte aujourd’hui près de 212 000 habitants cherche un nouveau souffle économique en s’ouvrant en direction des activités balnéaires et touristiques (équipements d’accueil pour une clientèle cosmopolite) ; le Musée naval et le Musée national d’Archéologie subaquatique rappellent aux visiteurs, par les vestiges exposés, l’ancienneté de la fréquentation des rivages et la force des liens qui unissent la ville au port.
Bibliographie
Bennassar B., (sous dir.), Histoire des Espagnols, Paris, 1985.
Chastagnaret G., L'Espagne, puissance minière dans l'Europe du XIXe siècle, Madrid, 2000.
Desdevises du Dézert G., L’Espagne de l’Ancien Régime. Paris, 1925-1928.
Martínez Andreu M., Manual de Historia de Cartagena, Ayuntamiento de Cartagena, 1996.
Perez J., Histoire de l’Espagne, Paris, Fayard, 1996.
Ruiz Navarro F., Las Cartagos y Cartagenas ultramarinas, Cartagena: Fundación Mastia, 2002.
Soler Cantó J., La Historia de Cartagena, Murcia, 1999.