Contexte
Dado Pršo
Stéphane Mourlane
Dado Pršo est un joueur de football croate devenu héros dans un pays qu’il a d’abord été contraint de fuir dans des conditions qui ont failli mettre un terme prématurément à sa carrière professionnelle. C’est à Zadar, au nord de la côte dalmate qu’il nait le 5 novembre 1974. Il grandit dans cette ville qui, malgré les destructions de la Seconde Guerre mondiale, garde les traces d’une longue histoire marquée par la présence étrangère, romaine, gothe, byzantine, hongroise puis, au XIXe siècle, autrichienne, et enfin italienne au cours de l’entre-deux-guerres. La famille Pršo est originaire de la Serbie voisine avec qui la Croatie forme, aux côtés de la Slovénie, la Yougoslavie depuis la fin de la Première Guerre mondiale. En novembre 1945, le pays devient une république fédérale (à la Serbie, la Croatie et la Slovénie s’ajoutent la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine et le Monténégro) et un État communiste dirigé par le très autoritaire Tito. Comme dans les autres pays du bloc de l’Est, auquel peut être affilié la Yougoslavie titiste en dépit de sa neutralité affichée, le sport fait figure de puissant vecteur idéologique et nationaliste à des fins de politique intérieure et extérieure. La pratique est structurée dès le plus jeune âge afin d’assurer la vitalité et la puissance de nation dont doivent témoigner les résultats des sportifs dans les compétitions internationales.
Dado Pršo fait valoir ses qualités athlétiques (il mesure 1,90 m à l’âge adulte) dans le football, un sport très valorisé en Yougoslavie. En 1991, l’Étoile rouge de Belgrade remporte la Ligue des Champions face à l’Olympique de Marseille. Cette année là, Pršo est recruté par l’Hajduk Split l’un des deux grands clubs croates avec le Dinamo Zagreb. L’Hajduk, plusieurs fois champion de Yougoslavie, est depuis sa fondation en 1911 considéré comme un porte-étendard de l’identité croate. Le pouvoir titiste y voit du reste un obstacle à la formation d’une conscience commune yougoslave et remplace symboliquement le damier rouge et blanc (aux couleurs du drapeau croate) sur le blason du club par une étoile rouge. Pršo ne parvient cependant pas s’imposer à son poste d’attaquant et il est prêté en deuxième division au club de Pazinka. Sa carrière subit également les effets de la guerre, qui, depuis 1991, embrase la Yougoslavie à la suite de la montée des nationalismes. La Croatie s’oppose ainsi à la Serbie, pivot d’une fédération yougoslave, qu’elle souhaite abandonner au profit de son indépendance. Les combats font rage (20 000 victimes jusqu’en 1995) ; les villes de Vukovar et Dubrovenik sont assiégées et les Serbes de Croatie le plus souvent contraints à l’exil.
Dans ce climat délétère, Pršo part pour la France où il espère signer un contrat avec le FC Nantes, un club de premier plan. Les quotas qu’impose encore la réglementation des joueurs étrangers l’en empêchent. Il doit se replier sur le FC Rouen évoluant en deuxième division. En Normandie, il mène une vie peu conforme avec les exigences d’une vie de footballeur professionnel : la dégradation de ses moyens physiques le conduit à mettre un terme à sa carrière professionnelle. Les hasards d’une rencontre amoureuse le mènent alors dans le Sud de la France, à Saint-Raphaël, où il joue encore au football au niveau amateur, tout en trouvant à s’embaucher comme magasinier dans une entreprise du bâtiment. Le joueur croate est alors repéré par l’AS Monaco où il signe un contrat, en 1996, pour jouer avec l’équipe réserve. L’année suivante, il est prêté à Ajaccio qui évolue en nationale ?. En marquant un grand nombre de buts, il contribue à la remontée du club corse en deuxième division. Ses performances lui permettent de retrouver Monaco en 1999. Le club de la Principauté joue alors les premiers rôles : il remporte le championnat en 2000 ; il est finaliste de la Ligue des Champions en 2004. Malgré des problèmes récurrents aux genoux, Pršo tire bénéfice de ce parcours exceptionnel sur la scène européenne pour signer un juteux contrat avec les Glasgow Rangers. Il y remporte le championnat d’Écosse en 2005, avant de mettre un terme à sa carrière en 2007.
Auparavant Pršo aura marqué l’histoire du football croate. Il a porté 32 fois les couleurs de la sélection nationale et participé à l’Euro 2004 ainsi qu’à la Coupe du monde 2006, où la Croatie n’est pas à la hauteur de la troisième place acquise lors de la Coupe du monde en France en 1998. Toutefois, comme ses prédécesseurs, l’équipe de Pršo fait la fierté des Croates et participe à la valorisation de l’image un pays qui, ébranlé par la guerre, cherche à attirer à nouveau les touristes. En Croatie, Pršo est érigé au rang de héros national après ses deux buts décisifs face à la Slovénie lors des barrages permettant la qualification pour l’Euro 2004. Il est élu en 2004, 2005 et 2006 meilleur joueur croate. Cette consécration revêt sans doute une signification particulière pour celui dont le parcours a été confronté aux vicissitudes de son pays.
Bibliographie :
« Les Balkans et le sport : talents, exploits et corruption », Les Cahiers du Courrier des Balkans, n°9, juin 2010, 202 p.
Castellan Georges, Bernard Antonia, Gabrijela Vidan, Histoire de la Croatie et de la Slovénie : Les Slaves du sud-ouest, Armeline, 2011, 524 p.
Dietschy Paul, Histoire du football, Paris, Perrin, 2010, 619 p.
Siri Norbert, AS Monaco Football club, Paris, Calmann-Levy, 2008, 189 p.