Contexte
En mémoire du musicien Farid Al-Atrach
Yvan Gastaut
Cette émission diffusée en 1986 sur la deuxième chaine de la télévision égyptienne (ERTU : Egyptian Radio and Télévision Union) est un portrait qui honore la mémoire du musicien et acteur Farid El Atrach décédé douze ans plus tôt en 1974. Il s’agit d’une évocation post mortem qui s’appuie sur des témoignages, des archives et atteste de l’importance de cette figure dans l’ensemble du monde arabe, considéré comme un le plus grand chanteur classique du XXème siècle doublé d’un talent d’acteur. D’abord un virtuose de l'oud, sa voix grave et son style mélancolique suscite la passion populaire : il a enregistré environ 350 chansons diffusées encore aujourd’hui sur les radios arabes et joué dans plus de 30 films toujours rediffusés, bénéficiant de larges audiences.
Né en 1915 à Beyrouth, d'un père syrien mort précocement en 1924 et d'une mère libanaise, Farid Al-Atrach est issu d'une famille druze qui lutte contre les armées coloniales françaises en poste en Syrie. Dès le début des années vingt, alors que sa famille est contrainte de s’enfuir vers l’Egypte où l’installation est difficile, il est initié à l'oud par sa mère, chanteuse traditionnelle : son talent est remarqué dès son enfance et son adolescence dans les fêtes d'école.
En 1925, il entre à l’institut de musique orientale du Caire où l’un de ses maîtres l’invite à exprimer ses émotions en chantant lui conseillant même de pleurer : la tristesse devient dès lors un trait marquant de son style. En même temps, afin d’aider financièrement sa mère, Farid Al-Atrach devient vendeur dans un magasin de tissus tout en s’employant épisodiquement dans l’animation de soirées cairotes, au club de Badia Massabny ou dans la boite de nuit Le Balatchi.
La carrière de celui que l’on surnommera bientôt le « chanteur triste » ne commence véritablement qu’en 1934 lorsque le musicien et directeur artistique de la radio nationale égyptienne, Medhat Assem, remarque Farid El Atrach à l’institut de musique et lui propose de travailler pour des émissions comme chanteur et joueur d'oud. En 1939, une radio anglaise lui propose d’intégrer un orchestre afin d’enregistrer des disques de musique. Il accepte et effectue son premier voyage en Europe, à Londres et à Paris.
En même temps, Farid El Atrach s’essaie à la composition : à la fin des années trente, il enregistre ses premiers succès Ya Zahratan Fi Khayali et Ya Ritni Tir, devenus des standards de la musique orientale.
Puis, en 1940, le musicien et chanteur désormais reconnu, rejoint le monde du cinéma. Avec sa sœur Amashan (Amal) devenue elle aussi actrice et chanteuse, il remporte un vif succès en 1941 avec le film réalisé par Ahmed Badrakhan, Intisar al-chabab (Victoire de la jeunesse) pour lequel il compose la musique premier film et joue le rôle principal.
Avec la notoriété, Farid El Atrach se laisse aller à une vie mondaine agitée, fréquentant discothèques, casinos et courses de chevaux tout en alimentant les journaux à sensation sur ses frasques sentimentales. Avec la mort de sa sœur, dans un accident de voiture en 1944, la vedette connaît la détresse et la ruine. La chanson L’amour d’une vie écrite et composée en 1946 évoquant, sur un ton mélancolique, la souffrance et la misère en écho à son état de tristesse connaît un immense succès ce qui encourage Farid El Atrach à en faire un film. C’est chose faite l’année suivante : il produit le film Habib al omr (L'amour de ma vie) et se place en tête d’affiche avec la danseuse et actrice Samia Gamal avec qui il entretient une passion amoureuse sous le regard des médias égyptiens. Le succès est encore au rendez-vous en 1950 lorsqu’il produit un autre film Le dernier mensonge dans lequel il partage l’affiche avec Samia Gamal. Mais le couple ne dure pas : après cinq films, Farid El Atrach et Samia Gamal se séparent en 1952 sans s'être jamais mariés.
La vedette égyptienne poursuit sa carrière dans le cinéma avec succès notamment en produisant, co-produisant, faisant l’acteur, écrivant des musique de nombreux films tels en 1955, L’époque de la passion avec Mariam Fakhr-Eddin, et Youssef Wahbi, La plage de l’amour en 1961 avec Samira Ahmad ou Le grand amour en 1969 avec Faten Hamama. Sa gloire à l’écran se confirme en même temps que son succès auprès de ses partenaires féminines. Il tient régulièrement le rôle du chanteur triste et sentimental, conservant le même nom à travers ses films : Wahid (solitaire). Mais son succès tient moins au scénario qu'à ses performances musicales et à la force de sa poésie qui bouleverse le public comme Ar-Rabi (Le printemps), Awell Hamsah (premier murmure). Il compose également des chansons plus populaire comme Noura Noura, Gamil Gamal, Leyla ou Hallet layali chantée dans toute l’Egypte.
Lorsque le roi Farouk 1er s’exile en France à la suite de la révolution nassérienne de 1952, Farid El Atrach qui nourrissait un amour secret pour la reine Narimane profite de son divorce et de son retour en Egypte quelques années plus tard pour y déclarer sa flamme. Mais, trop partisan du nationalisme à travers sa chanson Bessat El Rih, cette relation tumultueuse s’avère finalement sans lendemain, la famille de Narimane s’opposant fermement à cette relation, ce qui plonge Farid El Atrach dans un profond désarroi.
A partir des années soixante, la carrière de Farid El Atrach s’étiole. Victime de problèmes cardiaques, son état de santé décline progressivement. Il vit ses dernières années à Beyrouth où il tournera encore quelques films, mais à sa mort, son corps est rapatrié au Caire où il souhaitait être enterré. Sa figure est restée jusqu’à nos très présente dans le monde arabe comme celle d’un chanteur d’exception.
Sitographie :