Naguib Mahfouz |
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Titre de la collection
Omsya sakafeya
Date de première diffusion
1998
Résumé
Pour son émission culturelle, Farouk Choucha accueille l'écrivain Naguib Mahfouz. Né en 1911 au Caire, Naguib Mahfouz est l'un des écrivains contemporains les plus célèbres en Égypte. Pour récompenser sa carrière, il reçut le prix Nobel de Littérature en 1988, notamment pour son roman "La Trilogie du Caire" paru en 1950.
Chaîne de première diffusion
ERTU - Channel 2
Forme audiovisuelle
Entretien
Thème principal
Langues et littératures
Générique
- Farouk Choucha - Présentateur
- Mohamed Ibrahim - Réalisateur
- Naguib Mahfouz - Participant
Lieux
- Egypte - Basse Egypte - Le Caire
Contexte
Naguib Mahfouz
Richard Jacquemond
Décembre 1988 : le poète Farouk Choucha reçoit dans son émission Oumsiyya thaqafiyya (Soirée culturelle) Naguib Mahfouz qui vient d’être lauréat, deux mois plus tôt, du prix Nobel de littérature, décerné pour la première fois à un écrivain de langue arabe. L’événement a un écho considérable en Egypte et dans le monde arabe. Mais c’est d’abord une surprise pour son auteur, nous dit-il. Appartenant à la « génération fondatrice » du roman arabe (il fut probablement le premier écrivain arabe qui décida de se consacrer exclusivement à la fiction romanesque, dès la fin des années 1930), sa mission était d’acclimater ce genre littéraire dans la culture arabe. Aussi, il ne pensait pas que ce travail de pionnier puisse intéresser le reste du monde et il n’imaginait pas voir un jour son nom « aux côtés de ceux d’Anatole France, George Bernard Shaw ou Thomas Mann ». Au-delà de la modestie, réelle ou affectée, du propos, on peut y voir une auto-analyse précise de la position de la littérature arabe dans l’espace littéraire mondial. Celui-ci est dominé par les littératures des espaces centraux et il n’est pas indifférent que Mahfouz cite trois écrivains de langue française, anglaise et allemande : ce sont les langues d’expression littéraire les plus primées par l’Académie suédoise. De la création du prix en 1901 jusqu’à 2011, seuls 7 de ses 110 lauréats s’expriment dans une langue non européenne. D’où le reproche d’européocentrisme, évoqué dans l’archive dans des termes plus abrupts (« racisme »), couramment adressé aux jurys Nobel dans les milieux intellectuels arabes et, au-delà, dans tous les espaces littéraires excentrés.
L’autre critique évoquée dans cette émission (en langage codé, car tout n’est pas dicible à la télévision égyptienne) est plus directement politique : à la différence de nombre de ses pairs, égyptiens et plus encore arabes, Mahfouz a approuvé publiquement la paix séparée égypto-israélienne de Camp David (1979). Lorsqu’il reçoit le prix Nobel en 1988, nombreux sont ceux qui font remarquer que l’Académie suédoise a choisi un « bon Arabe », politiquement acceptable dans les capitales occidentales. Que la critique soit ou non fondée, elle souligne une autre forme de la domination spécifique (selon les termes de Pascale Casanova) que subissent les espaces littéraires périphériques : leur réception dans les capitales de la littérature mondiale est surdéterminée par le politique. Alors que Mahfouz publie en arabe depuis les années 1940, sa traduction en anglais et en français ne commence que dans les années 1970 : l’Egypte de Nasser a trop mauvaise presse en Occident pour que l’on s’y intéresse à sa production littéraire.
Quoiqu’il en soit, le Nobel de 1988 aura transformé le statut de Mahfouz, tant dans son pays (voir contexte de l’archive « Le côté humain de Naguib Mahfouz » - BIB00238) qu’à l’étranger. Son œuvre romanesque, à dominante réaliste, se prête bien à la traduction : elle donne au lecteur étranger, dans une forme qui lui est familière, quantité d’informations sur la société égyptienne, et cette réception à dominante ethnographique est un autre aspect de la domination que subissent les littératures du Sud dans les espaces littéraires centraux. Si l’on ajoute à cela sa prolixité (il est l’auteur de plus de cinquante romans et recueils de nouvelles), on comprend que Mahfouz soit aujourd’hui l’écrivain arabe le plus traduit dans le monde.
Bibliographie :
Richard Jacquemond, Entre scribes et écrivains. Le champ littéraire dans l’Egypte contemporaine, Arles, Actes Sud/Sindbad, 2003
Pascale Casanova, La république mondiale des lettres, Paris, Seuil, 1999