Contexte
L’Estaque
Céline Regnard
Rendu célèbre au cinéma et dans l’opinion publique par, notamment René Allio (La vieille dame indigne, 1965 mais surtout par les films de Robert Guédiguian, dont Marius et Jeannette (1997), l’Estaque est un quartier du Nord de Marseille, coincé entre mer et collines. Ce petit village de pêcheurs et de fabricants de tuiles, briques et tomettes, a connu une croissance urbaine et démographique fulgurante avec l’industrialisation de ces fabrications traditionnelles et l’implantation de la population ouvrière afférente, souvent immigrée et principalement italienne, dans la seconde moitié du XIXe siècle. En effet, grâce à la construction du chemin de fer et de la gare de l’Estaque, mais aussi de la route du littoral et de viaduc et tunnels, le village connaît alors un désenclavement qui lui permet de devenir le lieu de résidence de nombreux ouvriers travaillant dans les industries des quartiers nord de Marseille. La population passe d’un peu plus de 1000 habitants en 1871 à plus de 13000 en 1931. Quartier populaire, l’Estaque a longtemps été représenté par des élus communistes. En raison de sa situation et de l’engouement pour les activités balnéaires devient également un lieu de villégiature à la fin du XIXe siècle.
Ces contrastes entre un cadre idyllique, et un quartier industriel et populaire ont aussi fait de l’Estaque un sujet privilégié de la peinture d’avant-garde. La nature méditerranéenne a considérablement fasciné les auteurs et voyageurs depuis le XVIIIe siècle, et est abondamment décrite et représentée dans les tableaux et romans, fruits de ces « grands tours », pourtant, les paysages de l’Estaque n’ont été mis en valeur que tardivement, par Paul Cézanne.
L’impressionniste aixois est le premier d’une série de peintres à séjourner à l’Estaque en 1870. Fuyant la conscription, il trouve refuge dans ce vallon. A plusieurs reprises, en 1876, puis entre 1878 et 1879, il pose son chevalet dans les collines, le regard tourné vers la mer, composant des toiles où la lumière éclate, détachant nettement les formes anguleuses d’un paysage qui mêle le minéral des collines calcaires au végétal des pins parasols et de la garrigue méditerranéenne. Comme tous les impressionnistes, la lumière fascine Cézanne. Ici, il la qualifie même d’ « effrayante » dans une lettre à Pissaro. Les motifs urbains, comme les marques de l’industrialisation, ne sont pourtant pas oubliés, marque d’une peinture qui revendique une admiration pour le progrès et le génie du temps. Ces toiles les plus célèbres comme Rochers à l’Estaque, ou La mer à l’Estaque contribueront à faire de ce lieu un paysage internationalement connu.
Dans son sillage, plusieurs grands peintres de l’époque séjournent à l’Estaque : Renoir et Monet y sont ses invités en 1882 et 1883. À partir de 1906, année même de la mort de Cézanne, débute un nouvel engouement pour ce lieu. Braque, après avoir vu les tableaux du maître aixois, se rend à l’Estaque en 1906 et 1908. Il y réalise deux œuvres majeures de la peinture française, Le Viaduc à l’Estaque et Les Usines du Rio-Tinto à l’Estaque, dans lesquelles la géométrie des formes, esquissée par Cézanne, trouve un aboutissement tendant à l’abstraction à travers la forme cubique. Cette révolution dans la manière de représenter l’espace sera, par la suite, appelée le Cubisme.
Aux avants postes d’un nouveau courant pictural, Braque est suivi d’autres peintres de l’Estaque : Derain, Marquet et Dufy notamment. A partir des années 1950, l’Estaque comme le reste des « quartiers nord » de Marseille est touché par la crise des industries traditionnelles. Les activités de pêche et l’industrie des tuiles périclitent. La cimenterie et la chimie emploient de moins en moins d’Italiens ou de Marseillais mais essentiellement des ouvriers maghrébins qui affluent nombreux en cette période de décolonisation. Au chômage d’une partie du monde ouvrier répond la misère des bidonvilles jouxtant les usines. Progressivement les politiques municipales, notamment la création de la zone urbaine sensible L’Estaque Saumaty par la municipalité Gaudin, contribuent à réhabiliter le quartier. Le dernier bidonville de Marseille, Le Fenouil, disparaît de l’entrée de l’Estaque au début des années 2000.
Bibliographie :
Marcel Roncayolo, Les grammaires d’une ville. Essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Paris, EHESS, 1996
Alfred Saurel, La Banlieue de Marseille, Jeanne Laffite, 1995
Michel Hooq, Cézanne, « puissant et solitaire », Découvertes Gallimard, 2011
Georges Braque et le paysage de L'Estaque à Varengeville 1906-1963, catalogue de l'exposition au Musée Cantini à Marseille, Hazan, 2006
http://www.guide-paca.com/tourisme-loisirs/route-des-peintres-de-la-lumiere/l-estaque.htm