Contexte
L’art de vivre à Sormiou
Céline Regnard
Dans l’ensemble du bassin méditerranéen, il est de tradition millénaire de gagner une résidence hors de la ville afin d’échapper aux températures étouffantes de l’été, comme en témoigne la tradition romaine, puis italienne, de la villa. Le cabanon marseillais, n’est donc, en soi, pas un lieu d’une grande originalité. Pourtant, entouré d’un certain mystère - comme si ce secret d’initiés n’était accessible qu’aux authentiques marseillais - il est devenu un élément central de la culture locale.
L’entrée en folklore du cabanon, qui date des années 1840, est contemporaine de celles des archétypes du Marseillais et de leur ville. François Mazuy, auteur d’un Essai historique sur les mœurs et coutumes des Marseillais au XIXe siècle publié en 1853, écrit : « Il faut un Marseillais pour décrire le cabanon et faire sentir son influence salutaire sur les mœurs et les usages de cette population presque inconnue. Le Cabanon ! Le voilà donc arrivé sous notre plume, ce mot qui fait hausser les épaules à tant de gens ignorants des mœurs du Midi ! » En effet, le cabanon concentre à lui seuls les principaux traits du supposé caractère marseillais : difficile d’accès mais généreux à qui sait le connaître, il est synonyme de soleil et de bonne humeur, de fainéantise et de galéjades, de pêche, de bouillabaisse et d’aïoli, et bien sûr de parties de cartes et de boules. Comme lui, le Marseillais, tel qu’il a été décrit par la littérature de la seconde moitié du XIXe siècle (Delord, Labiche, Méry), est réputé pour son authenticité, sa proximité avec la nature et son absence de sophistication. « Mon rêve le plus fou/ se borne à cela et c’est tout : un petit cabanon, pas plus grand qu’un mouchoir de poche/ un petit cabanon, au bord de mer sur les roches » chante Alibert, chanteur d’opérette marseillais de l’entre-deux-guerres, gendre du compositeur Vincent Scotto.
Élément central de la culture marseillaise, le cabanon n’en perd pas pour autant sa réalité matérielle, ancrée dans une longue tradition historique. Les descriptions des mœurs des Marseillais insistent, dès le XVIIe siècle sur leur appétence pour la campagne, renforcée par leur peur des épidémies urbaines en des XVIIIe et XIXe siècles (peste de 1720 ou choléra de 1832 et 1884). Chaque catégorie sociale a son refuge : bastides et villas pour l’élite, cabanons pour le peuple. À l’origine du cabanon, il y a en effet la cabane, ce modeste abri, traditionnel dans les campagnes provençales, qui devient cabane de pêcheur sur les côtes. Pour autant, comme on le chante au début du XXe siècle, « un cabanon, ce n’est pas une cabane ». Il désigne un petit pied-à-terre dans la banlieue où les Marseillais vont passer les dimanches et les jours de fête. La campagne marseillaise voit donc un morcellement de la propriété foncière car, en ces terres arides de l’Estaque, d’Endoume ou des calanques, le terrain ne vaut pas cher au XIXe siècle. Beaucoup d’ouvriers, appartenant souvent à l’élite de ce groupe social (portefaix, artisans), mais aussi des familles de la classe moyenne, possèdent donc un cabanon. Construit de leurs mains, celui-ci est le refuge familial et amical du dimanche. Sa fréquentation atteste d’une valorisation du temps de loisirs qui marque la société de cette époque. L’équipement est rustique, et le lieu parfois occupé par plusieurs familles s’organisant alors en société. L’âge d’or du cabanon est également celui de la classe ouvrière marseillaise, des années 1850 aux années 1950.
Depuis, le cabanon se transmet de génération en génération, en tant que patrimoine immobilier – l’augmentation de la valeur du foncier et les lois de protection du littoral lui ayant fait prendre de l’importance – mais aussi culturel. Il témoigne en outre d’une tradition marseillaise de proximité avec la nature, qui s’est, entre autres, manifestée spectaculairement avec le succès des Excursionnistes marseillais, comptant plus de 8000 membres en 1914, ce qui en fait alors un des mouvements excursionnistes les plus importants d’Europe. Aujourd’hui très enviés, les cabanons persistent dans les plus beaux sites marseillais, dont les calanques, devenu Parc Naturel Régional en 2011.
Bibliographie :
Alain Corbin (dir.), L’avènement des loisirs 1850-1960, Paris, Aubier, 1995
Pierre Echinard « Le temps du loisir », Marseille au XIXe siècle. Rêves et triomphes, Musées nationaux, Musées de Marseille, 1991, p. 365-392.
Jean-Marc Tixier, Le cabanon, Marseille, Jeanne Laffitte, 1994
Claudie Gontier, Le cabanon marseillais, images et pratiques, Cerfise, 1991