Contexte
Porteurs d’exil
Céline Regnard
Jean-Claude Izzo est né à Marseille en juin 1945. Il est, comme beaucoup d’habitants de cette ville, un enfant de l’immigration. Son père, né en Italie à Castel San Giorgio, dans la région de Salernes, est arrivé dans la ville en 1929. Sa mère, fille d’un docker espagnol, est une habitante du Panier. C’est dans ce quartier, principal théâtre de l’action des romans d’Izzo, surplombant le port, cœur battant de la vieille ville populaire, que son père tient un bar place de Lenche. Malgré une scolarité brillante, au cours de laquelle il commence à écrire histoire et poèmes, Jean-Claude Izzo, comme beaucoup d’enfants d’immigrés, est orienté vers une formation courte : il obtient le certificat d’aptitude professionnelle au métier de tourneur-fraiseur. Si sa vocation d’écrivain est précoce, son amour pour les idées l’est aussi : dès 1963, il milite activement au mouvement catholique pour la paix Pax Christi. En 1964, appelé pour faire son service militaire, il entame une grève de la faim d’un mois qui lui vaut le bataillon disciplinaire à Djibouti. À son retour, en 1966, il entre au PSU (parti socialiste unifié, représentant alors une gauche plus radicale que la SFIO). Après avoir été candidat aux législatives en 1968 à Marseille, il quitte cette bannière pour le Parti communiste français (PCF). Militant actif, il devient journaliste puis rédacteur en chef du quotidien communiste La Marseillaise. Lui qui n’a jamais cessé d’écrire, publie en 1970 son premier recueil de poèmes intitulé Poèmes à haute voix, qui sera suivi par beaucoup d’autres. Après avoir rompu avec le PCF en 1978, comme beaucoup d’intellectuels au moment des révélations sur la politique concentrationnaire de l’URSS. En 1995, il est rendu célèbre par la publication et le succès de son premier roman policier Total Khéops, qui remporte un immense succès et plusieurs prix. Il s’agit en fait du premier volume d’une trilogie qui sera suivi de Chourmo (1996) et de Soléa (1998). Son dernier roman, Le soleil des mourants, sera publié en septembre 1999, quelques mois avant sa mort prématurée en janvier 2000.
Tout l’œuvre d’Izzo, réaliste et intensément poétique, est donc un éloge à sa ville, Marseille, et à ses idéaux, fortement ancrés à gauche. C’est à travers le portrait d’une société brassée, populaire, aux origines multiples, mais qui peut aussi être violente, que l’idéal d’Izzo s’exprime. Comme il l’écrit lui-même dans son roman Les marins perdus, mettant en scène un marin, Diamantis, échoué à Marseille : « Marseille était la seule ville du monde où on ne se sentait pas étranger ». Jean-Claude Izzo fait, en effet, partie de ces artistes et intellectuels qui, comme Robert Guédiguian, ont redonné au cosmopolitisme ses lettres de noblesse dans les années 1990, alors que le racisme et la montée des idées d’extrême droite s’exprimaient de plus en plus fortement. Sous sa plume, la description d’une société cosmopolite, où tous les peuples de la méditerranée seraient frères et unis autour de la mer commune paraît découler de l’histoire de la ville.
Et, en effet, c’est en partie le cas. La légende fondatrice de Marseille narre la rencontre et l’union d’un marin grec, Protis, et de la jeune Gyptis, fille du chef de la tribu ligure occupant les lieux. Par delà le mythe, Marseille a, en effet, tout au long de son histoire, accueilli des marins et commerçants du vaste monde. Les grandes vagues migratoires de la période contemporaine n’ont fait que renforcer cette vocation. D’une immigration régionale, essentiellement provençale et alpine, on est passé à une immigration en provenance d’Italie, puis d’Espagne, d’Afrique du Nord, d’Europe de l’Est, et d’Afrique subsaharienne voire d’Asie. Si la misère des régions d’origine est une constante dans les causes de ces migrations - l’attrait l’emploi industriel en étant une autre - l’exil politique est venu conférer à Marseille sa fonction de refuge, notamment dans les années 1930. Mais cette présence étrangère ne s’est pas toujours faite sans difficultés ni rejets. Si ceux-ci sont quelque peu gommés dans le légendaire irénique du cosmopolitisme marseillais, ils n’en restent pas moins pesants dans l’image d’une ville où l’accueil de l’autre est souvent davantage un argument ou une volonté politique, relayée par les artistes et les intellectuels, qu’une réalité.
Bibliographie
Émile Temime (dir.), Migrance. Histoire des migrations à Marseille, 4 tomes, Marseille, Jeanne Laffitte, 2007
Philippe Joutard, « Marseille cosmopolite : mythe et réalité », Hommes et Migrations, n°1092, 1986, p. 20-24.
Yvan Gastaut, « Marseille cosmopolite après les décolonisations : un enjeu identitaire », Cahiers de la Méditerranée, n° 67, 2003