Contexte
La fabrication des tarots à Marseille
Céline Regnard
Originaires du Moyen et Extrême Orient, les cartes à jouer auraient été introduites en Italie, pays de naissance du Tarot, puis en Espagne avant de pénétrer en France au XIVe siècle par l’entremise des milieux marchands et des cours princières, en Provence et en Flandres. D’abord peintes à la main, les cartes sont, à partir du XVe siècle, gravées sur bois. La fabrication s’industrialise à partir de la fin du XVIe siècle.
Marseille devient un centre de fabrication en 1631, date à laquelle la ville obtient l’autorisation de fabriquer des cartes. Les renommés Jean Pradines et Louis Garret, premiers cartiers marseillais, cumulent cette industrie avec celle de l’impression des toiles d’indienne. En effet, les deux métiers utilisent des modèles en bois exécutés par les mêmes graveurs. À la fin du XVIIe siècle les cartiers marseillais obtiennent du Parlement de Provence la promulgation de statuts et règlements régissant leur activité. Désireux de constituer une jurande afin de défendre leurs intérêts, ils voient les échevins de la ville s’opposer à ce qui est alors considéré comme une tentative de prise de monopole sur cette industrie. Mais un arrêt du conseil d’État leur donne bientôt raison : en 1671, le droit mis sur les « cartes, tarots et dés » est suspendu, ce qui permet de favoriser le commerce du papier et l’exportation des cartes à l’étranger. Le temps de la prospérité des cartiers marseillais semble alors venu. Mais la levée des taxes fait long feu. Rapidement, de nouveaux prélèvements pèsent sur la fabrication des jeux. Une activité de fabrication et d’exportation intenses se développe pourtant, illicite parfois. Ce n’est qu’en 1719 que la taxe est supprimée et que les cartiers retrouvent leur liberté. Parallèlement, s’opère une structuration du métier qui s’organise avec l’institution de la maîtrise vers 1730. Au milieu du XVIIIe siècle, environ 200 ouvriers y sont employés. La production, qui s’élève à 914 000 jeux en 1750, est essentiellement destinée à l’export (Italie, Espagne et son empire américain). Mais, encore une fois, un relèvement de la fiscalité, intervenant en 1751, provoque un fléchissement.
C’est à cette époque, en 1760, qu’est fondée la fabrique Conver, par le maître graveur Nicolas Conver, auteur à la même date des motifs du célèbre tarot. Ce jeu, qui semble ne pas être le premier tarot, représente pourtant l’archétype de ce jeu marseillais. La maison Conver devient ensuite la maison Conver-Camoin par le mariage de Jean-Baptiste Camoin avec une des héritières de la Maison Conver. Malgré cette belle réussite, la lourdeur de la fiscalité entraîne une chute de la production à la veille de la Révolution. L’industrie marseillaise n’emploie plus que 40 ouvriers dans six maisons. On compte neuf cartiers en 1807, puis trois en 1843 et enfin deux en 1870. Pourtant, encore une fois, l’industrie de la carterie marseillaise se relève : la concentration des maisons et l’introduction des machines permettent un sursaut de la production, principalement écoulée grâce à une prospère industrie d’exportation que favorise l’exemption de droits de sortie.
C’est à partir de 1878 que l’industrie marseillaise se concentre dans la maison Camoin, sise rue d’Aubagne, dont la production mécanisée atteint alors plus d’un million de jeux. L’entreprise est prospère, elle gagne des marchés, comme celui de l’Afrique, enlevé au concurrent italien. À la fin du XIXe siècle la production de la maison Camoin a triplé, elle atteint plus de 3 millions de jeux français en 1895 et plus de 80 000 jeux étrangers (chinois, anglais, espagnols, italiens). À cette date, Marseille détient les deux tiers de la production française de cartes à jouer. En 1906, lors de l’exposition coloniale de Marseille, la production est à son apogée avec 25 000 jeux par jour. Le déclin s’amorce doucement, jusqu’à pousser à la fermeture de la maison en 1971. La maison Camoin et Cie, refondée sous la forme d’une SARL en 1997 est aujourd’hui dirigée par Philippe Camoin, héritier de la famille, qui, à travers une politique de donation et de préservation de cet héritage culturel, se montre soucieux de préserver à la fois une entreprise et une culture.
Bibliographie :
Joseph Billioud « La carte à jouer, une vieille industrie marseillaise », Marseille, n° 34, janvier-mars 1958 p. 17-24 et n°35, avril-juillet 1958 p. 4-8
« La renaissance du Tarot de Marseille », Le Figaro Magazine, septembre 1998
Xavier Daumalin, Nicolas Girard, Olivier Raveux (dir.) Du savon à la puce. L’industrie marseillaise du XVIIe siècle à nos jours, Jeanne Laffitte, 2003
http://www.camoin-cie.com/