Pâtisseries typiquement provençales, particulièrement associées au patrimoine culinaire de Marseille, les navettes se dégustent toute l'année avec un point d'orgue le jour de la fête de la Chandeleur. Le 2 février, en effet, après une procession qui va du Vieux-Port jusqu'à l'abbaye de Saint-Victor, haut lieu du catholicisme du sud de la France, les Marseillais dégustent traditionnellement des navettes bénies par l’archevêque. C'est aussi à cette occasion qu'ils célèbrent la vierge noire sculptée dans du bois de noyer, que l'abbaye conserve en son sein depuis le Moyen-Âge.

 

La forme symbolique des navettes fait l'objet de plusieurs interprétations. Pour la version officielle, elles rappellent la barque qui amena les Saintes Maries sur les côtes de Provence, marquant ainsi le début de la christianisation de la Gaule. Mais leur apparence peut aussi évoquer un sexe féminin. La Chandeleur, qui célébra d'abord la purification de la Vierge puis la présentation au Temple de Jésus, est en effet un souvenir des lupercales romaines, fêtes annuelles de purification et de fertilité au cours desquelles on consommait des galettes de céréales, promesses de récoltes abondantes. Les crêpes, traditionnellement associées au jour de la Chandeleur, rappellent et prolongent la fonction des galettes des Lupercales. De fait, de nombreux rites païens ont été christianisés par l’Église.

 

Si les navettes n'ont pas la rondeur des galettes et des crêpes, elles reprennent la symbolique de la fécondité à travers leur forme, mais aussi leur composition qui met en scène l'ingrédient fondamental de la civilisation méditerranéenne : le blé. La navette, associée ici à la Vierge Marie, revêt dès lors une fonction allégorique comparable à celle du pain en Méditerranée : « On comprend pourquoi les pains affectent depuis l’Antiquité des formes sexuées très explicites et pourquoi ils sont si nécessaires aux divers cultes nés dans cette région », écrit Jean-Robert Pitte (2007).

Martin-Villevieille Simone, Histoire des recettes de Provence. 10 siècles de tradition gourmande, Jeanne Laffitte, 2000.

PITTE Jean-Robert, À la table des dieux, Fayard, 2009.

PITTE Jean-Robert, « Ces aliments et ces breuvages qui relient au divin », dans POULAIN Jean-Pierre (dir.), L'homme, le mangeur et l'animal. Qui nourrit l'autre ?, Les cahiers de l'OCHA n° 12, 2007.

TOUSSAINT-SAMAT Maguelonne, Ethnocuisine de Provence, Alain Schrotter Editeur, 1982.