Le projet de modification de la réglementation européenne a bien failli passer. La représentation française ne s'y était pas opposée le 27 janvier, lors d'une première consultation indicative. Le projet était fortement soutenu par le négoce (le Comité européen des entreprises du vin) qui voyait là un moyen de profiter du succès du vin rosé auprès des consommateurs en « baptisant » avec du vin rouge du vin blanc bas de gamme difficile à écouler. Introduit dans le nouveau règlement européen des pratiques œnologiques, le coupage devait se faire sur la base de 98 % de vin blanc et 2 % de vin rouge. La justification officielle était que cette pratique était déjà utilisée par les principaux concurrents de l'Europe dans le monde, en Australie ou en Afrique du Sud, et qu'elle devait servir à pénétrer le marché asiatique. Le risque était de dénaturer l'image du rosé, image en très nette amélioration grâce au travail de longue haleine mené, notamment en Provence, par les vignerons et les œnologues, pour transformer un « petit » vin de vacances en produit de qualité. L'enjeu économique pour la région est essentiel, puisque, depuis plusieurs années, le rosé voit ses exportations se développer et sa consommation s'accroître en France alors que la consommation globale de vin est à la baisse.
Ayant failli se laisser piéger, la viticulture provençale s'est mobilisée durant le premier semestre 2009, réunissant dans la défense du vrai rosé les collectivités locales, à commencer par le Conseil régional comme en témoignait la grande banderole qui barrait la façade de l'Hôtel de région. Il fallait convaincre Bruxelles (la commissaire à l'Agriculture, Mariann Fischer-Boel) et le gouvernement français (le ministre de l'Agriculture Michel Barnier), sensibles à d'autres intérêts régionaux ou professionnels, qui proposaient une distinction claire entre vin rosé "coupé" et "traditionnel". La France, soutenue par la Hongrie, puis par la Grèce ayant fait part de ses "réserves" à Bruxelles, la Commission européenne a dit prendre conscience "des préoccupations des producteurs de certaines régions, comme ceux de Provence", avant d'abandonner le projet avant même la décision finale, qui était attendue pour le 19 juin.
Le reportage fait part de la satisfaction de producteurs de l'appellation Bandol. Il se déroule dans l'un des domaines importants de cette petite appellation (une soixantaine de producteurs et 55 000 hl de vin sur 1 500 hectares environ), celui de la famille Bunan, une famille de rapatriés d'Algérie installée à La Cadière et au Castellet en 1962. Le choix de ce site est paradoxal, mais significatif. En effet, l'AOC Bandol, l'une des premières AOC de la région, a bâti légitimement sa notoriété sur un vin rouge de garde, provenant d'un cépage, le mourvèdre. Or l'engouement des consommateurs, l'association de la Provence touristique et du rosé, les besoins de trésorerie (le rosé n'a pas à être gardé en cave plusieurs années) ont conduit les viticulteurs de l'AOC Bandol à s'engager à leur tour dans la production de rosé. Elle correspond aujourd'hui à près de 65 % de la production totale.
Le cœur de la production n'en reste pas moins l'AOC Côtes de Provence, qui, avec 20 000 ha, couvre l'essentiel du Var et l'est des Bouches-du-Rhône, et vinifie plus de 80 % de sa production (1 million d'hl) en rosé. À ses côtés, les deux autres AOC jumelles les Coteaux d'Aix-en-Provence et les Coteaux varois, soit un peu plus de 6 000 ha qui vont des Alpilles à la région de Brignoles, vinifient elles aussi entre 70 et 80 % de leur production en rosé (200 000 hl). Au total, la Provence représente aux environs de 45 % de la production nationale de vin rosé et en exporte 10 % production, surtout en Europe (Suisse, Belgique, Allemagne, Pays-Bas). En 1999, les producteurs et négociants provençaux ont créé à Vidauban (Var) le Centre de recherche et d'expérimentation sur le vin rosé, expression de leurs ambitions et de leur souci de promouvoir une production enviée.