Contexte
Venise
Gilbert Buti
La place Saint-Marc, les gondoles, le carnaval, la Fenice, les ducats, les doges, Marco Polo, Le Tintoret, Guardi, Canaletto, Volpone, Casanova et le pont des soupirs sont, en vrac, autant de clichés puisés dans la mémoire de Venise, autant d’éléments d’un patrimoine mondial en rien virtuel ! Pourtant, le climat malsain, le manque d’eau potable, les exhalaisons des lagunes et la fragilité de son site contrastent avec cette renommée internationale.
Bâtie sur des pilotis, Venise, dont le territoire compte plus d’une centaine d’îles, est découpée en six quartiers parcourus par près de deux cents canaux qu’enjambent plus de 450 ponts. La cité doit son nom à ses premiers habitants, les Vénètes, auxquels César donna l’autorisation de s’établir dans ces îlots sablonneux au débouché de la plaine du Pô, dans une lagune qu’affectent les mouvements de la marée. La récolte du sel, la pratique de la pêche et les récoltes d’un maigre terroir ont été les premières ressources de la petite cité. Toutefois, en exploitant sa position géostratégique à la croisée des mondes byzantin, slave, ottoman et occidental elle devient au Moyen-âge une des cités les plus puissantes et les plus riches de son temps aux mains de grandes familles patriciennes qui composent le Sénat et fournissent les doges. Affranchie de toute subordination extérieure dès le XIe siècle, Venise, qui a consacré sa basilique Saint-Marc en 1094, traite avec les puissances politiques du moment : elle aide Byzance contre les Normands au XIe siècle ainsi que les croisés de Terre-Sainte avant de détourner à son profit la IVe croisade vers Constantinople – prise en 1204 et occupée jusqu’en 1261– et de constituer un véritable empire en Méditerranée, malgré la rivalité d’autres villes italiennes comme Gênes. Les Vénitiens servent d’intermédiaires commerciaux entre l’Occident chrétien et le monde levantin connecté à la lointaine Asie dont les pistes ont été un temps empruntées par les frères Polo et leur fils et neveu Marco (fin XIIIe s.). Ils consolident cette puissance au XIVe siècle et s’emparent au siècle suivant de plusieurs milliers de kilomètres-carrés de terre ferme dans la plaine du Pô, entre Frioul et Lombardie. L’État dirige toute la vie économique et contrôle l’activité maritime, à commencer par l’arsenal : chaque année le jour de l’Ascension à bord du Bucentaure, grande galère d’apparat, le doge célèbre le « mariage de Venise avec la mer », jetant à l’eau un anneau d’or béni, symbole fort des liens de Venise avec le monde maritime.
La plus grande place de commerce de l’Occident chrétien du XVe siècle subit toutefois la concurrence des États européens en formation et perd le monopole des approvisionnements asiatiques à la suite de l’ouverture, au XVIe siècle, des grandes routes océanes. En prenant appui sur la Terre ferme, Venise reste encore une importante place marchande au XVIIIe siècle lorsqu’après l’intervention française et la signature du traité de Campo Formio (1797) l’État vénitien est aboli. Éphémère république après la révolution de 1848, contrôlée peu après par les Autrichiens, la « Sérénissime » est cédée à l’Italie en 1866 et devient son principal port sur l’Adriatique, près de la frontière autrichienne jusqu’à l’annexion de Trieste à la fin de la Première Guerre mondiale. Les activités portuaires ne disparaissent pas mais glissent vers les proches rivages pour des besoins d’espace (pétrochimie), d’eau douce et de stabilité des terrains.
La splendeur et la richesse de son patrimoine en font une des destinations touristiques internationales les plus prisées (plus de 20 millions de touristes au début du XXIe siècle). Cependant, malgré de vastes et coûteux travaux hydrauliques (projet Mose ou Module expérimental électromécanique), la Cité des Doges reste menacée par les conséquences de l’accroissement du trafic maritime, l’affaissement du sol, la pollution des installations industrielles et le réchauffement climatique qui conduit à la lente montée des eaux et à l’épuisement des fonds marins qu’inquiète les pêcheurs malgré les efforts pour développer l’aquaculture. Aussi, Venise apparaît aujourd’hui comme un laboratoire de premier plan pour mener une réflexion relative à la protection des littoraux et à la préservation des ressources naturelles.
Bibliographie :
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