Contexte
Palerme : la Kalsa et les églises du centre historique
Stéphane Mourlane
La culture sicilienne est souvent présentée comme englobant une grande variété d’héritages, produits d’une histoire au cours de laquelle l’île a connu la domination phénicienne, grecque, romaine, gothe, byzantine, arabo-musulmane, normande, espagnole, autrichienne et bien sûr italienne. Palerme tient le plus souvent le rôle de capitale bien que parfois contesté. Aujourd’hui, l’espace et le patrimoine urbains forment une stratigraphie à ciel ouvert de ce passé multiethnique. Les legs architecturaux de la période musulmane ne sont que peu visibles. La ville connaît pourtant après sa conquête en 831 une profonde transformation dont le géographe Ibn Hawqal témoigne à la fin du Xe siècle. Avec ses 300 mosquées (symbole de son l’islamisation), Palerme est alors considérée la deuxième cité d’Europe après Constantinople. Au Moyen âge, son tissu urbain discontinu est structuré autour de cinq quartiers dont la vieille ville (Balarm) fortifiée et, lui faisant face, le quartier d’Al Khalisa (l’élu) qui traduit la volonté d’expansion de la ville par ses nouveaux maîtres. Il est conçu d’emblée comme un centre directionnel et résidentiel et prend l’allure d’une citadelle militaire et administrative avec son enceinte fortifiée, à l’exception du front oriental donnant sur la mer. Appelé par la suite La Kalsa, il conserve ces fonctions avec la construction de nombreux palais du XIVe au XVIIIe siècle.
Les Normands, nouveaux conquérants de la Sicile, s’installent à Palerme à partir de 1072. Leur domination se lit plus aisément aujourd’hui dans le patrimoine architectural de la ville. Les palais des Normands, de la Cuba et de la Zisa fournissent des exemples d’une architecture encore marquée par l’influence arabe. Pour le reste, la politique menée par Roger II (1095-1154) puis Frédéric II (1194-1250) ne laisse que peu de place aux influences arabes ; la population arabe a quasiment disparu à la fin du règne de Frédéric II. En bons vassaux du pape, les rois de Sicile défendent les valeurs du christianisme latin après le schisme de 1054 avec l’Eglise byzantine. L’érection de la cathédrale sur le site d’une mosquée en 1185 en est la traduction monumentale. Les tours d’angle sont ajoutées au XIVe et XVe siècle tandis que les travaux menés au XVIIIe siècle lui confèrent un style néo-classique. Elle est, à l’époque normande, le symbole du pouvoir centralisé du royaume : les souverains s’y font couronner et enterrer.
L’horizon urbain palermitain continue de se couvrir de clochers à l’époque moderne marquée par l’emprise espagnole. Avec la contre-réforme, apparaissent de nouvelles formes de dévotion dont le renouveau du culte marial : à Palerme, 123 églises et 35 oratoires sont consacrées à Marie. Santa Maria della Pietà est ainsi construite dans le quartier de la Kalsa entre 1678 et 1684 par Giacomo Amato dont la formation à Rome donne à l’église un style baroque qui diffère du baroque sicilien. Non loin, il bâtit sur le même modèle l’église Santa Teresa en 1686 qui vient compléter le dispositif ecclésial du quartier aux côtés de San Nicolo et San Mattia.
À l’époque espagnole, Palerme connaît une rénovation urbaine qui vise à lui donner un plan octogonal à l’instar d’autres grandes villes européennes. La croix de Quattro canti introduit un nouveau découpage urbain en quatre quartiers. Sous les Bourbons, au XVIIIe siècle, l’aristocratie marque le territoire par un bâti destiné à signifier son rayonnement social. Le palais Comitini, construit entre 1768 et 1771, est ainsi voulu par Michele Gravina y Cruillas issu d’une famille aragonaise puissante qui, pour se donner plus de prestige encore, prétend appartenir à une lignée descendant des Goths. Aujourd’hui, ce palais abrite le siège de la province de Palerme, tout comme le palais des Normands accueille l’assemblée régionale sicilienne. Comme d’autres objets culturels (la gastronomie par exemple), le patrimoine palermitain s’inscrit donc pleinement dans une société et une culture contemporaine qui se nourrit d’héritages pluriels formant le creuset d’une identité insulaire fortement affirmée.
Bibliographie :
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Siracusa, Siracusa, Arnaldo Lombardi editore, 1992.
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