Les enjeux politiques des médias en Méditerranée

Introduction

Saisir les enjeux politiques des médias en méditerrané, est une entreprise qui se heurte à une triple difficulté. Tout d’abord, l’impossible cartographie des médias en méditerranée rend   approximative l’identification des acteurs médiatiques pertinents de cet espace mouvant dans lequel « l’imaginaire est au moins aussi important que les réalités »[1]. A titre d’exemple entre 1939 et 1967, c’est la radio britannique BBC en arabe qui été le média le plus influent en méditerranée[2], de même que depuis 1996 c’est la chaîne d’information en continu qatarie basée dans la péninsule arabique al-Jazeera qui joue un rôle prépondérant dans cet espace[3] notamment sur la rive sud de la méditerranée et parmi les diasporas arabophones en Europe aussi bien en France, en Espagne qu’en Italie, trois pays méditerranéens. Ainsi le champ médiatique en méditerranée n’obéit que partiellement à une logique géographique, il est donc construit moins par les émetteurs et leurs stratégies que par les récepteurs, qui en arbitrant en faveur d’un média consacrent sa centralité et partant son influence, définissant ainsi les frontières à géométrie variable du « champ médiatique méditerranéen ».
 La méditerranée en tant que « concept » plutôt que comme entité naturelle et géographique intangible  est également construite par des flux de communication transnationaux qui résiste d’autant plus à la territorialisation que les médias ignorent les frontières sauf peut-être celles des langues. C’est dans la fragmentation linguistique   que réside le second obstacle à la compréhension du schéma de la circulation de l’information et des images en Méditerranée.   Si les barrières linguistiques demeurent infranchissables dans la mesure où un certain nationalisme linguistique s’affirme, l’anglais en tant lingua Franca tend à s’imposer. Mais l’ignorance ou l’indifférence marquent plus que la curiosité et l’ouverture le rapport des méditerranéens pour les médias de leurs voisins. Néanmoins, l’héritage colonial a constitué des espaces linguistiques communs qui perdurent notamment l’espagnol au nord du Maroc ou le français dans les pays du Maghreb (Tunis, Algérie, Maroc). En outre la multiplication des chaînes d’information en continue multilingue (arabe, anglais français notamment) participent au décloisonnement des champs médiatiques nationaux et favorisent leur interpénétration. Cette complexité, cette richesse ne favorisent guère une description simplifiée et opérationnelle des contours   « champ médiatique méditerranéen » qui le plus souvent perçu comme une entité en devenir.
En effet, la volonté de certains Etats durant les deux dernières décennies, travers les politiques de coopération en méditerranée,   de favoriser l’émergence d’une identité politique méditerranéenne s’est appuyée sur un volet médiatique. Ce dernier se heurte à la lenteur du processus d’institutionnalisation, elle-même reflet des hésitations politiques voire de véritables conflits d’intérêt et de perception entre les Etats du pourtour méditerranéen. Ladifficulté d’articuler médias et politique, comme le montre le cas d’institutions comme l’UER, l’ASBU, ou la COPEAM[4] jette des doutes sur la possibilité d’une véritable régulation des relations intra-méditerranée par les médias.

Ainsi, inscrire le rapport entre médias et politique en méditerranée dans une perspective historique permet de voir que les médias de masse ont servi aussi bien les stratégies de domination coloniale   que les mouvements d’émancipation nationale et de modernisation sociale. Progressivement, l’idée d’une régulation par les médias des relations méditerranéennes a émergé caressant ainsi l’utopie d’une paix par les médias initiée par les Etats. Mais, la percée des «médias de masses individuels»[5] liés à internet, aussi bien les blogs, Facebook ou Twitter a changé la donne en faisant pencher le rapport de force en faveur des individus et au détriment des Etats. Même si l’on considère que le rôle politique attribué aux nouveaux médias[6] dans le déclenchement des révolutions arabes est surévalué, il montre néanmoins, l’importance qu’il convient d’accorder à la question enjeux politiques des médias en méditerranée notamment celui de la démocratie par les médias, en tenant compte non plus seulement des acteurs institutionnels ou étatiques mais également des acteurs non étatiques sans oublier les individus. 

 Le « champ médiatique méditerranéen » en tant que concept :  
On peut définir le «champ médiatique méditerranéen  » comme un espace qui s’organise selon une logique propre déterminée par la spécificité des enjeux et des atouts que chaque agent (étatique ou non) peut y faire valoir. Ce concept entend rendre compte à la fois des relations et des rapports de force entre des agents intéressés à un même type d’activité – ici les activités médiatiques en méditerranée- des effets des processus d’institutionnalisation, et des façons de penser et de faire qui permettent de participer aux activités considérées. Ainsi, les interactions entre les acteurs médiatiques en méditerranée, se structurent en fonction des atouts et des ressources,    qu’elles soient politiques, financières ou encore culturelles, linguistiques, que chacun mobilise.  
Le «champ médiatique méditerranéen »  est un espace social de position où tous les participants ont globalement les mêmes intérêts mais où chacun doit gérer et préserver des intérêts propres à sa position occupée dans le champ. La recherche de l’influence politique à travers un positionnement central sur ce champ explique l’activisme et le volontarisme de certains Etats pour hâter la structuration et l’institutionnalisation de ce champ et d’assurer sa survie. 

 

 
 


[1] Voir Anne Ruel, « L’Invention de la Méditerranée », in Vingtième Siècle, n°32, octobre-décembre 1991. pp. 7-14. En 1708, le Dictionnaire universel, géographique et historique de Thomas Corneille présente comme une Méditerranée la « mer qui commence au détroit de Gibraltar et qui parcourt plus de mille lieues jusqu’au royaume de Syrie [...] On lui a donné le nom de Méditerranée, à cause qu’étant au milieu de toutes les terres de l’Ancien Monde, elle les divise en trois parties, qui sont l’Europe, l’Asie, l’Afrique ».
[2] Peter Partner, Arab Voices, the BBC Arabic Services, 1938-1988, BBC External Services, 1988.
[3] Mohammed El Oifi, «L’effet Al-Jazira», Revue Politique Etrangère, 3/2004.
[4] (UER), Union Européenne de Radio-Télévision, (ASBU) Arab States Broadcasting Union, (Copeam) Conférence Permanente de l'Audiovisuel Méditerranéen.
[5] Manuel Castells « Emergence des « médias de masse individuels », Le Monde Diplomatique, août 2006. Lien : http://www.monde-diplomatique.fr/2006/08/CASTELLS/13744
[6] David M. Faris, «La révolte en réseau : le «printemps arabe » et les médias sociaux», Revue Politique Etrangère, 1/2012. Yves Gonzalez-Quijano, «Les “origines culturelles numériques” de la Révolution arabe », 15 février 2011, Blog Culture et politique arabes, http://cpa.hypotheses.org/2484

Introduction

I – La lecture médiatique des p...

II- Les médias et les mouvement...

III – Vers une régulation média...

Conclusion

Bibliographie

Résumé

Saisir les enjeux politiques des médias en méditerrané, est une entreprise qui se heurte à une triple difficulté. Tout d’abord, l’impossible cartographie des médias en méditerranée rend approximative l’identification des acteurs médiatiques pertinents de cet espace mouvant dans lequel « l’imaginaire est au moins aussi important que les réalités » . A titre d’exemple entre 1939 et 1967, c’est la radio britannique BBC en arabe qui été le média le plus influent en méditerranée , de même que depuis 1996 c’est la chaîne d’information en continu qatarie basée dans la péninsule arabique al-Jazeera qui joue un rôle prépondérant dans cet espace notamment sur...

Auteur

EL OIFI Mohamed
Maître de conférences et chercheur associé, spécialiste des médias du monde arabe, Institut d'études politiques de Paris, Centre Thucydide.