Contexte
Marseille
Gilbert Buti
Ville de passage, cité de brassage, foyer pluriculturel, plus vieille ville de France, « cité phocéenne », « porte du sud », porte de l’Orient et plus grande ville maritime de France : autant de formules qui sont associées à la ville-port, c’est-à-dire à une ville dont le port est au cœur de ses activités économiques, de son destin et de son identité. Si la ville a été fondée en 600 avant notre ère par des Grecs venus de Phocée – faisant ainsi de Marseille une ville née de la mer et de l’immigration – le site était occupé bien avant cette date par des groupes celto-ligures ainsi que l’ont montré de récentes découvertes archéologiques, sans compter les traces de proche habitat plus ancien encore (grotte Cosquer dans les calanques voisines). Le Lacydon, calanque originelle choisie par les Phocéens, est en partie protégée par les îles de Pomègues et Ratonneau.
Deux siècles après sa fondation Massilia fonde à son tour des cités voisines (Nice, Antibes, Hyères, La Ciotat, Agde…). Carrefour commercial grâce à la vallée rhodanienne, la cité qui est résolument tournée vers la mer (voyage d’exploration de Pythéas vers la mer du Nord et la Baltique au IVe siècle avant notre ère) subit les assauts des Carthaginois avant de se rapprocher de Rome et de passer sous le contrôle de celle-ci sous César (49 avant notre-ère). Prise et saccagée par les barbares au Ve puis au VIIIe siècle de notre ère elle doit cependant son rayonnement à l’abbaye de Saint-Victor et connaît un regain de vitalité au moment des croisades comme port de transit vers la Terre-Sainte. En 1423, la ville, qui est liée aux Angevins, est mise à sac par les Aragonais. La ville a néanmoins retrouvé un dynamisme commercial lorsqu’elle passe, peu après la mort du roi René, et avec l’ensemble de la Provence dans le royaume de France (1481).
Fièrement jalouse de ses privilèges reconnus par les souverains, de François Ier à Louis XIII, Marseille tend à devenir une « petite république catholique autonome ». Les relations maritimes se développent en Méditerranée : les capitulations signées par la France avec Constantinople (1536) favorisent les échanges y compris avec les échelles du Levant. Compagnie du corail (1551), première savonnerie, fabrique de draps, raffinerie de sucre témoignent de cette vitalité économique. Cependant, le comportement des élites et les velléités d’autonomie heurtent l’absolutisme royal : en 1660, Louis XIV met au pas la ville « rebelle ». La vie municipale est contrôlée par le pouvoir central, des places fortes sont construites ou renforcées (citadelle Saint-Nicolas et fort Saint-Jean) et un programme d’agrandissement modifie le paysage urbain. Marseille devient port de guerre (établissement d’un arsenal des galères) et développe sa flotte marchande ; l’ouverture de grandes infirmeries (1668), l’édit d’affranchissement du port (Colbert, 1669) et la taxe de 20% sur les marchandises importées du Levant (1669) favorisent le monopole du commerce marseillais avec le Levant.
Les expéditions de la mer du Sud, au début du XVIIIe siècle, et les relations avec les Iles françaises d’Amérique, puis l’océan Indien confirment ce nouvel élan et caractérisent la croissance du siècle que ne brise pas la terrible épidémie de peste de 1720-1722. Marseille garde la Méditerranée, annexe les océans et se hisse au niveau d’un port mondial alors que le nombre de ses négociants passe de 250 à 750. Le « glorieux XVIIIe siècle » est toutefois brisé par les guerres de la Révolution et de l’Empire.
Le renouveau de la ville et le redémarrage de son activité commerciale, après 1820, sont étroitement liés aux conquêtes coloniales et à l’exploitation de territoires lointains. Les transformations de l’outillage nautique (navires de grande portée, voiliers puis vapeurs), le trafic des passagers aux mains de grandes compagnies (Paquet, CGT), les industries navales, agroalimentaires, chimiques et pétrochimiques ont besoin d’espaces ; les entreprises glissent alors vers le nord (Joliette, Arenc, Mourepiane, Estaque), mais également vers les rives de l’étang de Berre au-delà de la chaîne de la Nerthe. Le Lacydon devient le Vieux-Port destiné surtout aux caboteurs, plaisanciers et pêcheurs (avant que ceux-ci à la fin du XXe siècle quittent à leur tour le Lacydon où la Criée est devenue théâtre). La décolonisation et les nouveaux courants d’échanges (hydrocarbures, minerais, conteneurs) conduisent au déclin des anciens domaines portuaires au bénéfice des installations de Fos-sur-mer et de Lavéra (pétrochimie, sidérurgie…). Toutes ces mutations économiques et politiques des XIXe et XXe siècles ont été accompagnées de mouvements de populations en provenance de toutes les rives de la Méditerranée et au-delà – Ligures, Piémontais, Napolitains, Catalans, Arméniens, Juifs, Magrébins, Comoriens – renforçant le caractère cosmopolite d’une cité qui n’ignore pas les tensions entre ces hommes venus d’ailleurs.
Marseille demeure le premier port français et méditerranéen. L’actuel programme Euroméditerranée tend à transformer profondément les anciens espaces urbano-portuaires, à orienter les vieux bassins vers des activités de plaisance et de tourisme (croisières), à proposer une image autre que celles véhiculées par « Marius, Fanny et César », sans pour autant refuser le prestigieux patronage de Marcel Pagnol. Ainsi que le rappelle le cas de Marseille, un port suivi sur la longue durée est bien un espace en perpétuelle recomposition.
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