Contexte
Yakouren
Martine Chalvet
Tourné en 2004, le reportage est un film visant la promotion touristique de la forêt de Yakouren en grande Kabylie près de la wilaya de Tizi Ouzou. Il vante « une nature vierge et sauvage », les aires de repos et de détente et l’artisanat local.
« Pour les Amoureux de la nature et de l’évasion, une destination par excellence, la Kabylie, un endroit de repos et de sérénité ». Située en grande Kabylie, à 50 km de la wilaya de Tizi Ouzou, « la forêt paradisiaque de Yakouren » est présentée comme « un petit paradis » pour les randonneurs et les enfants. Le reportage vante particulièrement « une nature vierge et sauvage », « l’air pur », les singes, les fontaines rafraichissantes et la beauté des paysages. Il loue également « la finesse et l’originalité » des produits artisanaux et des sculptures en bois exposés tout au long de la nationale 12.
Autrefois qualifiée « de petite Suisse africaine » par les colons, la région de Yakouren était une destination touristique prisée dès les années 20. Dotés de magnifiques points de vue, de paysages de montagne et d’une grande richesse végétale et faunistique, plusieurs sites de Kabylie avaient d’ailleurs bénéficié d’une politique de protection et de développement touristique. Sur les 13 parcs nationaux définis en Algérie, les autorités coloniales avaient distingué les parcs de l’Akfadou (1925), du Djurdjura (arrêté de 1925), du Djebel Gouraya (arrêté de 1924) et du Babor (arrêté de 1931). Admirant les forêts, les montagnes, les gorges et les littoraux escarpés, les créateurs des parcs algériens reprenaient les poncifs romantiques d’une nature « sauvage » et « sublime » éloignée des hommes. Néanmoins, au-delà de la seule protection « des beautés pittoresques », il s’agissait aussi de développer le tourisme et d’encourager les centres d’estivage. Des routes, des sentiers et des points de vue avaient été aménagés, des infrastructures hôtelières et le premier camping avaient été construits pour attirer les visiteurs.
80 ans plus tard, cette ancienne tradition touristique ressort clairement du reportage. Mais curieusement, le commentaire vante les beautés de la nature sans évoquer précisément ces écosystèmes d’une grande richesse faunistique et végétale. Dans la forêt de Yakouren, on trouve une chênaie peuplée de chênes zéens mais aussi de chênes afares et de chênes-lièges, sans compter de nombreuses espèces de plantes et de mousses, une faune diversifiée avec des mammifères (chacal, singe magot porc-épic hérisson, renard et sanglier), toutes sortes d’oiseaux et de nombreux rapaces. S’étalant sur une superficie d’une dizaine de milliers d’hectares, le massif forestier d’Akfadou (1 646m.), proche voisin de la forêt de Yakouren est considéré comme le meilleur exemple de cette biodiversité.
Dans un but de promotion touristique, le reportage présente une « nature vierge et sauvage » sans évoquer l’action des hommes. Il omet ainsi de souligner le patrimoine culturel de la région, pourtant peuplée de nombreux vestiges de l’Antiquité. Il gomme aussi l’histoire et n’évoque pas les maquis durant la guerre d’Algérie ou les événements de la guerre civile. Enfin, il oublie les populations locales, leurs conditions de vie et la situation socio-économique de la région et notamment la longue tradition de mise en valeur agricole, arboricole, pastorale et sylvicole fondée sur le pâturage et l’exploitation des bois.
Destiné à attirer les touristes, le reportage n’évoque aucun des problèmes actuels et notamment les menaces qui pèsent sur les écosystèmes des forêts de la région de Yakouren. Les incendies, les coupes illégales, l’exploitation anarchique du bois, le trafic du liège, les défrichements, l’extraction de pierres et les constructions illicites sans oublier parfois le surpâturage et les nombreux dépôts d’ordures entravent le bon renouvellement de la faune et de la flore. Certes, les coupes sont théoriquement contrôlées et de nombreux mammifères sont protégés par la loi. Toutefois, cette dernière est sans cesse contournée et guère appliquée. De nombreux articles de presse, des interventions sur la toile et l’association Afarez déplorent cette situation qu’ils jugent catastrophiques. De nombreuses voix réclament le classement de la forêt d’Afkadou proche voisine de la forêt de Yakouren, classement qui n’avait pas été reconduit après l’indépendance du pays. Pour ces défenseurs de la nature, ce classement viendrait compléter la chaîne des autres parcs nationaux de Kabylie. Il permettrait non seulement la protection de richesses faunistiques et floristiques extraordinaires, mais aussi le développement d’activités touristiques et donc l’amélioration des conditions de la population locale frappée par un chômage endémique. En 2009, une procédure de classification a d’ailleurs été engagée.
Bibliographie
- Chalvet M., « Les Parcs Nationaux en Algérie dans les années 1920-1930 : Une patrimonialisation des « Suds » ?, Colloque international organisé à Marrakech, du 3 au 5 mars 2011, dans le cadre du programme IMASUD, « Sud imaginaires, imaginaires des Sud : héritages, mémoires et patrimoines », publié sous la direction de M. Crivello, par les Presses Universitaires de Provence et la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme.
- Selmi A., « L’émergence de l’idée de parc national en France. De la protection des paysages à l’expérimentation coloniale », R. Larrère, B. Lizet, M. Berlan-Darqué, Histoire des parcs nationaux. Comment prendre soin de la nature ? Ed. Quae, Paris, 2009, p. 43-58.
- La forêt algérienne, Magazine d’information sur la protection et la conservation de la forêt, édité par l'Institut national de la recherche forestière. INRF, Alger, n°l, février-mars 1996.
- La revue Forêt méditerranéenne, publiée par l’Association de la forêt et des espaces naturels forestiers méditerranéens, Marseille.