Contexte
La savonnerie Marius Fabre
Céline Regnard
La savonnerie est, de longue date, l’industrie phare mais aussi la doyenne des industries de transformation de la matière première dans la commerçante et industrieuse place portuaire de Marseille. Sa présence, ancienne, y est attestée depuis le XIVe siècle. Le savon, qui sert alors à nettoyer les textiles est fabriqué selon des procédés artisanaux tenus secrets.
C’est à partir du XVIIe siècle que cette industrie se développe considérablement, soutenue par l’action colbertiste et favorisée par la situation géographique de la ville. Le port est en effet un débouché des matières premières, notamment des corps gras, nécessaires à la fabrication du produit. Celui-ci est composé d’huile d’olive, d’amidon, d’eau de chaux et d’une lessive de soude. L’huile d’olive, qui donne de très bons résultats à la saponification, est importée de toute la Méditerranée (Levant, Afrique du Nord, Italie du Sud et Espagne), l’huile provençale étant réservée à la table. En 1686 est promulgué un édit codifiant la production et la profession, garantissant à la fois l’excellence de la première et la supériorité de la seconde. Les savonneries, alors implantées près de l’Arsenal des galères, sur la rive sud du port, voient leur production augmenter. Durant tout le XVIIIe siècle, le savon de Marseille, d’une qualité et d’un prix ne le soumettant pas aux aléas de la concurrence, est le fleuron de l’industrie locale. Il est utilisé, entre autres, dans le traitement des étoffes. Les débouchés dans ce secteur maintiennent la production. Les maîtres savonniers jouent un rôle crucial : ces spécialistes, souvent d’anciens ouvriers, possèdent un grand savoir-faire transmis de génération en génération, dans un métier qui reste très fermé.
L’utilisation d’huiles issues du sésame et de l’arachide dans la fabrication du savon permet de donner un coup de fouet à une production dont l’écoulement est bridé par le prix élevé de l’huile d’olive. Le mélange d’huiles, qui n’altère pas la qualité du savon, provoque dans les années 1830-1840 un essor remarquable de la production et du commerce. Les savonneries, qui utilisent désormais la vapeur, se multiplient dans les années 1840-1850. Ainsi, au début du XXe siècle, au moment où est fondée la savonnerie Marius Fabre, le secteur est à son apogée. Les approvisionnements en oléagineux ont progressé et se sont diversifiés, l’huile de palme ayant fait son apparition. On compte alors une quarantaine d’usine qui emploient plus de 2000 personnes. En 1913 la production atteint un record avec 180 000 tonnes, soit 50% du total de la production française. Le savon est principalement écoulé en France, mais aussi exporté vers le Maghreb ou l’Italie. Pourtant cette industrie demeure fragile : le tissu industriel est familial et éclaté, le développement de l’huilerie alimentaire pèse sur les coûts de production, et la concurrence étrangère, anglaise singulièrement, menace. L’introduction du procédé Solvay dans la fabrication de la soude permet toutefois d’abaisser les coûts et de préserver la savonnerie pour plusieurs décennies.
En 1900, Marius Fabre crée sa savonnerie à Salon-de-Provence, utilisant les huiles venues du port de Marseille et la soude de Salin-de-Giraud produite par l’usine Solvay. L’arrivée du chemin de fer, en 1873, relie la petite ville aux divers sites industriels provençaux et permet l’approvisionnement de sa savonnerie. En 1927, l’entreprise familiale s’installe à Marseille. Comme toute la savonnerie marseillaise, elle connaît ensuite des difficultés principalement liées à l’introduction de la lessive en paillettes et à la diversification de l’offre dans la savonnerie et la cosmétique, mais aussi à la concurrence de productions étrangères et du commerce en grandes surfaces. Pourtant, de génération en génération, cette entreprise familiale qui emploie aujourd’hui 23 personnes a su, comme d’autres, se maintenir. Revenue à Salon, s’étant adaptée à l’évolution des goûts en fabricant des pains de savons plus petits, parfumés, la savonnerie Marius Fabre a vivoté avant de retrouver une prospérité liée au retour en grâce du savon de Marseille depuis une dizaine d’années.
Bibliographie
N. Bardiot, Du sale au propre. Marseille et la soude au Siècle des Lumières, Paris, ADHE, 2001.
P. Boulanger, Le Savon de Marseille, Marseille, Equinoxe, 1999.
X. Daumalin, N. Girard, O. Raveux (dir.) Du savon à la puce. L’industrie marseillaise du XVIIe siècle à nos jours, Jeanne Laffitte, 2003
D. Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation dans les sociétés traditionnelles (XVIIe-XIXe), Paris, Fayard, 1997.
http://www.marius-fabre.fr/site/index.htm