Contexte
Israël : pitta et falafels
Mayalen Zubillaga
Le falafel est une croquette de fèves et/ou de pois chiches trempés dans de l'eau puis mixés avec des aromates et façonnés en boulettes. Celles-ci sont frites dans de l'huile et dégustées sous forme de mezze (ensemble de plats à picorer à plusieurs) ou enfermées dans un pain de type « pita » (pain plat et creux) avec des crudités et une sauce au sésame (tahini). Vraisemblablement originaire d’Égypte, le falafel se serait progressivement diffusé vers le reste du Moyen Orient, où les pois chiches remplacèrent les fèves en totalité ou en partie. Aujourd'hui, la variante égyptienne utilise exclusivement des fèves, tandis que les Palestiniens et les Israéliens emploient uniquement les pois chiches qui poussent sur leurs terres. Les Libanais, quant à eux, prônent le mélange des deux.
Or, comme le montre cette émission, qui propose de découvrir « la cuisine du soleil » à travers des plats emblématiques de pays ou de régions, le falafel fait figure, en Israël, de plat national. Les expatriés israéliens ont d'ailleurs largement contribué à populariser les falafels de pois chiches à New York ou à Paris. Cette assimilation suscite, depuis plusieurs années, une querelle culinaire faisant écho au conflit politique israélo-palestinien, Libanais et Palestiniens reprochant aux Israéliens de s'être indûment arrogé cette recette, comme, du reste, celle du houmous (cette purée de pois chiches traditionnelle fait l'objet d'une saine émulation, Israéliens et Libanais cherchant épisodiquement à confectionner le plus grand plat de houmous du monde). L'enjeu, rappelant celui des appellations d'origine, est certes économique, mais il est surtout culturel : la « guerre du falafel » montre que la cuisine n'a rien d'anodin ; au contraire, elle constitue l'un des éléments exprimant l'identité des peuples.
Avant même la création de l'État d'Israël en 1948, en effet, les pionniers sionistes qui migrèrent de Russie et de Pologne, au début du XXe siècle, pour fonder les premiers kibboutzim (établissements coopératifs), s'installèrent avec la volonté de mettre en place une société puritaine et frugale. Dans ce contexte, ils tenaient à abandonner les symboles, y compris alimentaires, de leur ancienne vie en Europe, et à se « connecter » à leurs racines bibliques et aux nouvelles conditions locales. Les villageois arabes (fellahin) et les bédouins faisaient alors figure de modèles parfaits. Certains de leurs aliments, tels les falafels, exerçaient une grande attirance sur les nouveaux venus, notamment les jeunes : symboles d'une cuisine de rue humble et frugale, ils s'avéraient, de plus, très savoureux et bon marché ! De la même manière, après 1948, les immigrants d'Europe tournèrent le dos à une alimentation rappelant l'exil et la persécution, dans un contexte de pauvreté et de pénurie imposant de fait une cuisine austère. Mais c'est surtout dans les années 1950, avec l'émigration de milliers de juifs venus de pays arabes, notamment du Yémen, que le falafel s'imposa.
Le falafel présente également, ici, le mérite d'unifier la formidable diversité des cuisines israéliennes : pays relativement récent qui accueille des migrants venant de plus de soixante-dix pays, Israël rassemble, avec ce plat emblématique, l'ensemble de ses habitants. Claudia Roden, auteur d'un magistral Livre de la cuisine juive, écrit que « la cuisine fait partie des grands facteurs de cohésion dans cette société mixte, où la cuisine domestique est une mosaïque acquise aux quatre coins du monde – où la nourriture d'Europe de l'Est est perçue comme "juive" et le reste comme "ethnique", tandis que la nourriture arabe vendue dans la rue (falafel, houmous, babaghanouzh, shakshouka et cigares marocains) est considérée comme israélienne. » Le falafel est ainsi devenu, au fil du temps, un classique de la cuisine de rue israélienne, avec des spécificités locales que l'on repère dans le choix des accompagnements, pickles et condiments (par exemple la harissa marocaine présentée dans cet extrait) : un falafel « melting-pot », comme l'ensemble de la société israélienne !
Bibliographie :
RODEN Claudia, Le livre de la cuisine juive, Flammarion, 2012 (nouvelle édition).
Weitzman Yonathan / BluePress, « Israël / Palestine : Le falafel, boulette de la discorde », Le Monde, 3 septembre 2010.
RAVIV Yael, « Falafel: A National Icon », Gastronomica: The Journal of Food and Culture, Vol. 3, No. 3 (Summer 2003), pp. 20-25, University of California Press.