Contexte
Le patrimoine marseillais
Céline Regnard
Avec plus de 22 000 hectares Marseille est, depuis la Révolution française, la plus vaste commune de France. C’est sur ce territoire étendu, au cœur duquel la ville ne représente, au début du XIXe siècle, qu’une infime partie, que se produit l’étalement urbain qui, progressivement, gagne les villages et les campagnes pour prendre la forme de l’agglomération actuelle, dont la discontinuité marque, par endroit, les traces de cet héritage. Cette originalité communale se double d’un urbanisme particulier, caractérisé par son absence d’unité, qui apparaît historiquement guidé par des logiques diverses, parfois antagonistes, simultanées ou contemporaines.
Alors que le cœur historique de Marseille est situé sur la rive nord du port, et correspond à l’actuelle colline du panier, l’agrandissement du XVIIe siècle, mené sur la rive sud par l’architecte Pierre Puget, représente le premier projet de planification urbaine de grande ampleur à Marseille. Les rues, dont l’alignement contraste avec le plan médiéval du vieux Marseille, sont bordées d’immeubles bourgeois. Mais c’est véritablement le XIXe siècle qui voit la ville se transformer sous l’effet de l’essor commercial et industriel amenant à la fois de nouvelles richesses, qui profitent à une élite de négociants et d’industriels soucieuse de son train de vie, mais aussi à une main-d’œuvre en quête de travail, qui permet de faire de la capitale provençale une ville-chantier pendant près d’un siècle. La poussée urbaine s’effectue dans un premier temps vers l’intérieur et non pas vers la mer. Les principes de la physiocratie et de l’hygiénisme président aux projets guidant la construction de boulevards-promenades et de larges avenues vers l’Est au-delà des allées de Meilhan (boulevard Longchamp, boulevard Chave), et le Sud, dans l’axe du Boulevard du Prado. Outre de beaux immeubles et des demeures bourgeoises, ces quartiers présentent une certaine mixité sociale, ce qui, pour les catégories intermédiaires, se traduit par des formes de parcelles et un bâti assez uniformes. Il en résulte une certaine unité architecturale, que caractérise le fameux « immeuble marseillais », de 7 mètres de façade, 15 à 30 mètres en profondeur, et d’une largeur de trois fenêtres. Au cours du XIXe siècle se poursuit également la construction des fameuses bastides marseillaises, maisons bourgeoises entourées de jardins servant de résidences secondaires.
Mais les dynamiques urbaines ne font pas que tourner le dos à la mer et au développement industriel. Le patrimoine architectural marseillais est également très marqué par cet essor. D’une part, l’urbanisation implique de grands travaux d’infrastructure : la construction de la Gare Saint-Charles, inaugurée en 1848, le creusement des nouveaux ports et des docks à partir de 1854, le percement de la rue Impériale au milieu des années 1860, aujourd’hui rue de la République, seul véritable axe haussmannien marseillais bordé d’immeubles de rapport. D’autre part, Marseille, devenue premier port de France, porte de l’Empire colonial, se dote sous le Second Empire d’un patrimoine urbain fonctionnel de prestige, dont le Palais de la Bourse, siège de la Chambre de commerce, inauguré en 1860, constitue le fleuron. Pour autant, la ville ne bénéficie jamais d’une politique urbaine cohérente et de grande ampleur. L’éclatement du tissu industriel reflète celui de l’habitat populaire, grignotant progressivement les interstices. Quelques constructions, aussi symboliques qu’isolées, comme les immeubles Fernand Pouillon (dont les travaux débutent en 1949) ou la « cité radieuse » du Corbusier (1945-1952), ne font pas illusion devant les ravages d’une progression anarchique des voies de communication et d’une dégradation progressive des quartiers centraux. Dans les années 1980, les municipalités successives, conscientes du problème, engagent dans le cadre de la Politique de la Ville, avec plus ou moins de réussite, des programmes d’intervention urbaine dont la réhabilitation du Panier et de Belsunce, s’inscrivant ainsi dans une généalogie ancienne de projets avortés depuis le début du XIXe siècle.
Bibliographie :
Marcel Roncayolo « La croissance urbaine » in Marseille au XIXe siècle. Rêves et triomphes, Musées nationaux, Musées de Marseille, 1991, p. 21-42
Marcel Roncayolo, Les grammaires d’une ville, essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Paris, éditions de l’EHESS, 1996.
Gaston Rambert, Marseille, La formation d’une grande cité moderne. Étude de géographie urbaine, Marseille, Société anonyme du sémaphore de Marseille, 1934.