Contexte
Les relations portuaires Marseille-Alger
Céline Regnard
Depuis la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1960, Marseille a été la tête de pont de l’Empire colonial français, la « Porte de l’Orient », telle qu’elle a été magnifiée par la toile de Puvis de Chavannes. Inclus dans son système protectionniste en 1892, les échanges entre les colonies et la métropole ne sont soumis à aucun droits de douane, ce qui les avantage par rapport aux produits étrangers qui, eux, sont taxés. De fait, la France importe de son empire, donc d’Algérie, de nombreuses matières premières qui transitent par Marseille ou y subissent une transformation industrielle, ce qui constitue la clé de voûte du « système marseillais ». L’importation d’hydrocarbures est un élément de ce trafic, sans en constituer le socle dans un premier temps. La France a toujours été dépendante des importations du point de vue énergétique : du Second Empire à la Seconde Guerre mondiale, c’est plus du tiers de ses besoins qu’elle couvre grâce à des apports externes. Entre les deux guerres, le trafic pétrolier s’est développé sur les nouveaux bassins de l’étang de Berre (Berre, la Mède, Lavéra), annexés au port de Marseille depuis 1919. Mais c’est véritablement après 1945 que ce trafic prend son envol. À l’issue du second conflit mondial le redémarrage de l’économie, les progrès de l’industrie, des transports et de la motorisation rendent les besoins énergétiques de la France plus impérieux. La recherche de nouvelles sources d’approvisionnement complète une politique de développement du secteur minier. Alors que la fermeture du Canal de Suez assombrit l’horizon, la découverte en 1956 de gisements de gaz et de pétrole dans le Sahara algérien offre de nouvelles perspectives de développement. 10 milliards de francs sont investis dans leur exploitation de 1955 à 1964. Le trafic d’hydrocarbure, sur lequel repose la croissance au cours des années 1950, passe de 2,2 millions de tonnes à 13 millions de tonnes en France entre 1938 et 1954.
Pour l’économie marseillaise, l’enjeu est d’importance : le pétrole est la nouvelle matière première sur laquelle repose l’industrie de transformation. En 1949 est mis en service le port de Lavéra, accessible aux navires de 80 000 tonnes. En 1962 est ouvert un grand réseau d’oléoducs européens destiné au pétrole, puis, en 1968, un oléoduc pour produits raffinés, dont les principaux terminaux se situent dans la région de Berre. Au milieu des années 1960 est également décidé le creusement d’un port en eaux profondes à Fos-sur-Mer. Accessible aux pétroliers géants de 300 000 tonnes et plus, son inauguration a lieu en 1968. Enfin, le dispositif est complété par la construction du terminal méthanier de Gaz de France traitant le gaz naturel liquide importé d’Algérie. Désormais, la région marseillaise, où sont implantées des multinationales du pétrole comme Shell, Total, British Petroleum et Esso, est la première plate-forme nationale de réception des hydrocarbures liquides. À Alger également, les travaux sont colossaux. En 1830, le port offrait une superficie de 3 hectares. Il a été progressivement complété par de nombreux bassins, d’une gare maritime, de voies ferrées, de docks et d’entrepôts. Moderne, il bénéficie de la construction d’un système roll on-roll off permettant des opérations de manutention rapides.
Le pétrole occupe désormais une place fondamentale dans l’économie des deux pays et des deux ports. En 1948 les hydrocarbures représentent 49% des importations et 29% des exportations marseillaises. En une trentaine d’années, ils vont devenir le principal secteur, et la bouée de sauvetage d’une économie locale en perte de vitesse : en 1974 les chiffres sont de 90% et 68%. L’indépendance algérienne marque en effet la fin de l’empire colonial français et un tournant pour le port de Marseille : les hydrocarbures restent le secteur principal d’activité, tandis que le reste des échanges périclite. Pour autant, dans le contexte post-colonial, les échanges sont moins aisés et le pétrole représente un enjeu considérable dans les relations complexes entre la France et l’Algérie d’après 1962. Aujourd’hui, l’Algérie n’est plus qu’un partenaire commercial parmi d’autres : l’approvisionnement de la France en pétrole brut est dépendante, pour un tiers, des pays de l’ex-URSS.
Bibliographie :
Nouschi André, La France et le pétrole, Paris, Picard, 2001
Florence Pizzorni et Abderrahmane Moussaoui, Parlez-moi d’Alger. Marseille-Alger au miroir des mémoires. Catalogue de l’exposition du Fort-Saint-Jean du 7 novembre 2003 au 15 mars 2004, Réunion des Musées Nationaux, 2003.
Xavier Daumalin, Du sel au pétrole : l’industrie chimique de Marseille – Berre au XIXe siècle, Marseille, Tacussel, 2003
Xavier Daumalin, Nicole Girard, Olivier Raveux (dir.) Du savon à la puce. L’industrie marseillaise du XVIIe siècle à nos jours, Jeanne Laffitte, 2003
Lambert Olivier, "Une histoire du pétrole dans la région marseillaise", Industries en Provence, n° 13, Mémoire, Industrie, Provence (MIP), Marseille, 2005