Contexte
Le quartier Belsunce
Céline Regnard
Le quartier Belsunce doit son nom à l’évêque de Marseille qui s’illustra par sa bravoure pendant la peste de Marseille en 1720. Il est délimité par la Canebière au Sud, le cours Belsunce à l’Ouest, le boulevard d’Athènes et le boulevard Dugommier à l’Est et le boulevard Charles Nédelec au Nord. De la Porte d’Aix en passant par la Gare Saint-Charles jusqu’à la Canebière, Belsunce regroupe donc des lieux emblématiques de Marseille.
C’est dans les années 1830 que commencent les constructions des grands boulevards marseillais qui vont donner à la ville sa physionomie actuelle : les boulevards-promenade, tournant le dos à la mer, bordés d’arbres et d’immeubles cossus, sont rapidement adoptés par la bourgeoisie locale. Le « Cours », c’est ainsi que l’on désigne alors l’artère principale qui traverse Belsunce, possède donc initialement une physionomie bourgeoise, mais est également marqué par une précoce vocation d’échange. C’est en effet là que se retrouvent les négociants venus d’Europe du Nord et des pays méditerranéens. Au cours du XIXe siècle la sociologie du quartier devient de plus en plus populaire, la bourgeoisie et les catégories intermédiaires élisant domicile de préférence au Sud de la Canebière. Belsunce, qui reste un lieu de promenade et de divertissement apprécié des Marseillais, fait désormais partie des quartiers populaires de la ville, caractéristique qui perdure aujourd’hui. On vient y trouver une embauche, on y sort, on s’y divertit. En haut du Cours Belsunce, l’Alcazar, ouvert en 1857, reconverti depuis 2004 en bibliothèque municipale, devient le plus célèbre music-hall de Marseille.
Des années 1860 à la Seconde Guerre mondiale la salle, qui peut accueillir 2000 personnes, permet des spectacles d’artistes débutants comme Yves Montand, Tino Rossi ou Maurice Chevalier. Les grandes heures de l’opérette marseillaise, notamment celles de Vincent Scotto sont également associées à ce lieu mythique au public réputé exigeant. Mais, entre la gare et le port, il n’y a pas que le divertissement. Au XIXe siècle, Belsunce devient surtout un lieu d’installation des populations nouvellement arrivées à Marseille, un lieu de transit et d’accueil. La succession des vagues migratoires qui marque la ville s’imprime dans ses rues étroites et derrière ses façades délabrées. Le quartier est densément peuplé, d’Italiens depuis la fin du XIXe siècle, puis, pendant la Première Guerre mondiale et l’Entre-deux-guerres, de réfugiés arméniens, mais aussi des Grecs, des Russes, des Serbes, et des Algériens.
Cette tradition d’accueil se poursuit dans la seconde moitié du XXe siècle, le quartier voyant l’installation d’une bonne partie de la grande vague migratoire en provenance d’Afrique du Nord, avant son emménagement massif dans les quartiers-nord. Africains et Asiatiques se mêleront à cette population à la fin du XXe siècle. L’évocation de ce cosmopolitisme suffit, à elle seule, à comprendre la réputation sulfureuse du quartier, soulignée par le grand reporter Albert Londres dans Marseille Porte du Sud en 1927. Rapidement en effet, l’aspect dégradé, pour ne pas dire insalubre, des garnis ou des enclos (quasi-bidonvilles constitués à partir de bâtiments existant) qui servent de logement à des migrants souvent non-francophones et vivant dans une grande pauvreté, donne lieu à un discours xénophobe sur les risques sanitaires liés à cette population. La nature des activités pratiquées dans le quartier : commerce et artisanat mais aussi trafics et prostitution, titillent les angoisses sécuritaires de la population marseillaise. Enfin, ce mélange de peuples fait ressurgir la hantise du métissage et le rejet de la figure de l’errant ou de l’apatride, considéré depuis la fin du XIXe siècle comme un contre-modèle pour les nationalistes de tous bords. Les termes exotiques et dégradants pour désigner l’activité commerciale du quartier : « caravansérail » « souk » « bazar », deviennent un des lieux communs dans les descriptions de Marseille. Belsunce, à l’image du cosmopolitisme marseillais, fascinant et inquiétant, fait aujourd’hui partie intégrante de l’identité populaire de la ville, comme en témoigne la chanson Belsunce Breakdown, extraite de la bande originale du film Comme un aimant (2000), écrite par Akhenaton, le charismatique leader du groupe de rap IAM.
Bibliographie
Marseille au XIXe siècle, rêves et triomphes, Musées de Marseille, Musées nationaux, Marseille, Lafont, 1991.
Marcel Roncayolo, Les grammaires d’une ville. Essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Paris, EHESS, 1996.
Emile Temime, Marseille transit : les passagers de Belsunce, Paris, Autrement, 1997.
Barsotti Claude, Le Music-Hall marseillais de 1815 à 1950, Arles, Mesclum, 1984.