- (Silence)

- Mais ce qu’il y a de plus dramatique c’est l’occupation de Constantinople par les Turcs en 1453.

- (Silence)

- Efendi, toi Mehmet II, tu nous as demandé de renforcer la citadelle d’Anadolu Hisari

- et face à elle sur la rive des Romains commandant le passage du Bosphore tu nous as fait élever en trois mois Rumeli Hisari.

- (Silence)

- Tu nous as donné le courage d’acheminer nos bateaux par la terre afin de prendre Constantinople à revers.

- Nous avons attaqué les murailles réputées pour être inébranlables.

- (Silence)

- A l’intérieur de son château le dernier empereur Paléologue Constantin XI Dragasès n’a plus qu’à prier.

- (Silence)

- L’aigle byzantin va tomber.

- (Silence)

- Tu resteras dans les mémoires comme celui qui, à l’âge de 24 ans, a renversé Byzance.

- (Silence)

- Et on dira que triomphant sur ton cheval blanc tu es entré dans la basilique de Sainte-Sophie.

- Désormais cette ville est musulmane. Elle se nomme Istanbul.

- (Silence)

- J’ai parlé des croisades. Je n’ai pas parlé de Lépante mais ce n’est pas Lépante qui retient. Lépante, c’est la croisade d’arrière-saison, 7 octobre 1571

- avec Don Juan d’Autriche qui commande la flotte chrétienne et qui est, comme on dit, le dernier des croisés.

- Lépante, c’est la dernière grande bataille navale de type médiévale qui met aux prises deux groupes antagonistes.

- D’une part, les Occidentaux pour une fois unis depuis, on peut dire, les grandes croisades du XII au début du XIIIème siècle.

- Et d’autre part, la puissance ottomane qui jusqu’à présent a été pratiquement invaincue et qui vient d’infliger aux Vénitiens une grande défaite en s’emparant de Chypre.

- Pourquoi Lépante ? Eh bien pour répondre à cette question, il faut faire un petit retour en arrière.

- En 1453, les Turcs ottomans ont conquis Constantinople et à ce moment-là ils occupent donc l’Asie mineure et l’Europe balkanique.

- De ce point de vue, on peut considérer qu’ils sont les héritiers du monde byzantin.

- Quelques 60 ans plus tard, le monde ottoman est véritablement énorme s’étendant depuis la Hongrie, la frontière hongroise jusqu’à l’Euphrate

- et depuis le Nil et au-delà jusqu’à la frontière algéro-marocaine. C’est une puissance considérable.

- (Silence)

- Parmi les adversaires du monde ottoman bien unis malgré tout, donc les Espagnols, les Maltais, c’est-à-dire les Chevaliers de Malte, Venise, la Papauté et la ville de Gènes.

- Ce sont-là les éléments qui au moment de Lépante ont essayé de s’unir pour une fois face au monde ottoman

- qui lui de son côté essaye d’éjecter Venise de ses possessions de Méditerranée orientale.

- Venise et ses alliés.

- Dès 1522, les Turcs ont ravi Rhodes aux Chevaliers de Malte après un siège de six mois.

- En 1535, ils ont dû abandonner Tunis à la flotte de Charles Quint. Mais en 1565 ils se sont portés sur l’île de Malte et ont attaqué le fort Saint-Elme.

- Pendant quatre mois ils le tiennent sous leurs canons, en vain.

- (Silence)

- Ce qui ne les empêche pas de courir sur la dernière possession vénitienne en Orient, Chypre, qu’ils prennent en 1571.

- Et sur la lancée de cette victoire, les Turcs décident d’aller attaquer les Vénitiens dans leur repaire-même, c’est-à-dire l’Adriatique.

- Au même moment une flotte a été concentrée à Messine, flotte qui a pour but d’aller attaquer justement cette flotte ottomane qui est dans l’Adriatique et de la détruire.

- Or cette flotte chrétienne arrive trop tard. Les Turcs sont déjà repliés dans le golfe de Corinthe, à Lépante.

- Les flottes sont donc arrivées de part et d’autre de cet étranglement qui est situé ici.

- La flotte ottomane à l’est du cap, la flotte chrétienne à l’ouest.

- La flotte ottomane est répartie en trois groupes :

- une escadre, aile droite près de la côté, un centre, et une escale aile gauche commandée par le fameux Uluç Ali, disons au large.

- Réciproquement la flotte chrétienne symétriquement mais l’aile gauche près de la côte, le centre au milieu, bien entendu, et l’aile droite un peu en avant qui avance en direction des Ottomans.

- Et c’est cette aile droite que voit en début en premier, sans totalement découvrir la flotte chrétienne, les Turcs.

- A ce moment-là l’aile droite ottomane avance en essayant de tourner cette petite escadre, la prendre à revers.

- Mais débouche le gros de la flotte chrétienne et cette attaque de l’aile droite ottomane est réduite à néant, ses chefs capturés ou tués.

- (Silence)

- Cette bataille va mettre aux prises des flottes qui, on peut le dire, s’interpénètrent et c’est bien un véritable corps-à-corps qui s’organise.

- On croirait une bataille terrestre. Les Turcs en sortent vaincus. Lépante est le dernier grand combat de l’Islam et de la Chrétienté.

- (Silence)

- Les conflits vont devenir financiers, politiques. Les marchands succèdent aux guerriers.

- Vers 1600 en Méditerranée, on peut bien dire que commence une période de Méditerranée désenchantée, de Méditerranée anémiée, de Méditerranée abandonnée.

- Le début du XVIIème siècle est le début d’une régression qui va s’accélérer peu à peu et va mettre la Méditerranée en dehors des grands courants de la richesse du monde.

- (Silence)

- L’espace maritime longtemps limité au bassin méditerranéen s’est ouvert aux dimensions océaniques.

- Les découvertes maritimes de la fin du XVème siècle :

- 1492-1497-1498, la découverte du périple de cap de Bonne-Espérance.

- (Silence)

- et la découverte cinq ans plus tôt ou six ans plus tôt de l’Amérique.

- (Silence)

- Ce continent contient pour peupler de sauvages qu’il convient d’évangéliser est en train de bouleverser l’économie méditerranéenne.

- Mais à partir de 1590 le centre du monde bascule et va s’établir définitivement dans le nord au bénéfice d’Amsterdam et un peu plus tard au bénéfice de Londres.

- On observe une évolution lente, progressive mais inexorable.

- Les grands partenaires qui s’étaient affrontés à Lépante ont en effet progressivement perdu leur puissance

- et plus profondément encore leur droit de contrôle sur les affaires du monde.

- Mais la Méditerranée a cessé d’être une zone privilégiée. Elle va s’anémier de plus en plus.

- Entre le début du XVIIème et le XIXème siècle de nouvelles puissances extra-méditerranéennes ou partiellement méditerranéennes comme la France

- ont pris le contrôle commercial de l’espace de la mer intérieure.

- Ce sont dans l’ordre, si l’on veut, les Hollandais, longtemps la première puissance commerciale du monde,

- les Anglais et les Français.

- (Silence)

- Alors bien avant, je dirais, le canal de Suez vous ne comprenez rien à l’impérialisme anglais si vous ne voyez pas qu’il s’installe à Gibraltar, qu’il s’installe à Malte,

- qu’il s’installera plus tard en Egypte. Il s’est installé aussi à Chypre. Il a pris les points de relais pour la route des Indes. La route terrestre des Indes

- si elle devient une route liquide à travers l’isthme de Suez c’est parfait, à partir de, comme vous le savez, 1869.

- C’est l’événement du siècle. Toutes les têtes couronnées de l’Europe se sont données rendez-vous à Suez pour inaugurer solennellement le canal.

- (Silence)

- A tout seigneur, tout honneur. C’est une dame, l’impératrice Eugénie, qui va diriger l’inauguration.

- (Silence)

- Ce canal, c’est évidemment une réussite technologique exceptionnelle qui a été menée à bien après 10 ans de travaux grâce à l’acharnement d’un homme, Ferdinand de Lesseps.

- En même temps d’un point de vue technique, c’est un pari sur la navigation à vapeur qui est récente mais qui va transformer complétement les conditions de la circulation.

- (Silence)

- Ce canal pourtant symbolise l’affaissement politique du monde méditerranéen.

- Il a été réalisé par d’autres et il transforme la Méditerranée en voie de passage. C’est un peu la fin d’un monde.

- (Silence)

- Le XIXème siècle laisse face à face les deux puissances qui ont pris la tête de la révolution industrielle.

- C’est d’un côté, l’Angleterre, la première puissance navale du monde.

- En face d’elle, la France tente une politique méditerranéenne. Elle a conquis l’Algérie, la première dépouille de l’Empire ottoman.

- (Silence)

- C’est elle qui a pris l’initiative du canal.

- (Silence)

- Bien sûr, le canal a son histoire. Mais la rivalité franco-anglaise dominera l’histoire de la Méditerranée jusqu’en 1956.

- (Silence)

- 26 juillet, Nasser annexe le canal. La France et l’Angleterre s’unissent pour riposter. Désormais Suez est le point sensible de la Méditerranée.

- (Silence)

- De nouvelles puissances prendront le relais de la France et de l’Angleterre, ce sera encore une fois des puissances extra-méditerranéennes. Ceci c’est la Méditerranée d’aujourd’hui.

- (Silence)

- Le canal vient d’être rouvert. On n’y croyait plus.

- (Silence)

- Nous sommes en juin 1975. Les bateaux immobilisés dans le canal depuis la guerre des Six Jours ont été dégagés. Le trafic vient de reprendre.

- Qu’avait signifié cette fermeture? Beaucoup moins qu’on aurait pu le redouter.

- Le monde occidental avait appris, à coup de porte-containers et de super pétroliers, à s’en passer.

- (Silence)

- La route du pétrole, s’était habituée à contourner la Méditerranée, réouverture aujourd’hui mais au profit de qui?

- La présence visible des porte-avions américains et des porte-hélicoptères russes expriment bien les dominations affrontées des deux grandes puissances mondiales.

- Ce qui prouve bien que la Méditerranée reste aujourd’hui encore l’un des champs clos de l’histoire du monde.

- La Méditerranée orientale ne cesse d’être déchirée: guerres, attentats, représailles, coups de main.

- Ce sont là des conflits politiques dont on sait la part qui revient aux intérêts internationaux.

- Mais ces ont aussi des conflits de religion, de civilisation.

- D’un côté un Juif, de l’autre un Musulman. Antagonisme de mentalité qui s’est accentué sous la pression de l’Occident.

- (Silence)

- On voit à chaque instant brûler des conflits qui sont des conflits d’autrefois.

- C’est répéter les mêmes erreurs, les mêmes atrocités, les mêmes tragédies aujourd’hui encore.

- Et en Méditerranée, c’est d’autant plus visible encore car quelques fois les civilisations sont l’une à côté des autres et que la mer aujourd’hui ne les sépare plus. La mer, c’est une demi-heure de voyage.

- Depuis deux mois, le drapeau américain a bien souvent remplacé le drapeau soviétique dans la capitale égyptienne. Kissinger y restera pour 48 heures…

- L’histoire. L’histoire de la Méditerranée.

- (Silence)

- Sur ces rivages sud les populations en avait été écartées par la colonisation. Elles ont hâte aujourd’hui d’en reprendre possession.

- Nous sommes en Algérie, pays socialiste.

- (Silence)

- De jeunes étudiantes vont aux champs pour aider à l’éducation politique des paysans.

- (Silence)

- Ce qui sépare ces jeunes filles de ces femmes, ce n’est pas seulement tout ce qui sépare une génération d’une autre, la ville de la campagne, l’aisance du dénuement.

- C’est on peut presque dire, une différence de civilisation.

- (Silence)

- Belghimouz, c’est un village agricole de la révolution agraire. C’est une sortie de volontariat faite par les étudiantes de l’université de Constantine.

- (Silence)

- Pour le travail dans les champs, c’est plutôt symbolique parce que l’on sait que ce n’est pas notre travail qui va avancer la production agricole, ce n’est pas vrai.

- Mais si nous on fait ce travail, c’est pour les amener à être plus confiants. Avec les paysans, c’est très difficile d’entamer de but en blanc une discussion qui pourrait avoir…

- (Silence)

- Oui enfin, elle a dit qu’elle est une femme déchirée. Son mari est mort pendant la Révolution. Actuellement elle habite dans un gourbi. C’étaient les séquelles de la colonisation.

- Et pour elle, enfin elle est convaincue qu’elle ne pourra arriver à un stade que si elle lutte.

- Et elle dit qu’elle fait ça non pas pour elle, puisqu’elle a eu une vie, si vous voulez, assez dure, mais elle fait ça pour des générations futures. A savoir par exemple pour ses enfants.

- Et elle confirme ça par le village agricole de Belghimouz qui sera terminé prochainement.

- (Silence)

- Face à la Méditerranée du nord, il y a aujourd’hui cette Méditerranée du sud qui poursuit son industrialisation en s’appuyant sur ses ressources énergétiques.

- (Silence)

- D’un côté l’Islam décolonisé qui tente de traduire en politique commune sa maîtrise du pétrole nécessaire à l’Europe.

- De l’autre, l’Europe du nord-ouest qui associe à sa communauté les grandes péninsules méditerranéennes.

- En Italie méridionale, en Espagne, dans le sud de la France, apparaissent ports pétroliers, centres sidérurgiques, usines de transformation.

- (Silence)

- Ce sont les postes avancés de l’Europe.

- Oui, le pouvoir de décision vient de Paris. Mais la Méditerranée, le pourtour méditerranéen au fond n’avait pas donné lieu jusqu’ici à d’implantations industrielles importantes.

- C’est une lacune peut-on dire qui est en train de se combler au bénéfice certes, nous l’avons vu, de l’Europe mais aussi au bénéfice de l’ensemble de tout le bassin méditerranéen.

- Entre les deux, un dialogue difficile mais nécessaire cherche à s’établir. Ce dialogue nord-sud comme on dit aujourd’hui arrivera-t-il à se substituer au dialogue est-ouest?

- Réfléchissez! Réfléchissez! Pensez à l’Italie. Quand au XIXème siècle tout va se réanimer.

- Il y aura la possibilité pour les pays de Méditerranée, et ça continue aujourd’hui, de rattraper leur retard mais de ne pas prendre le train industriel tel qu’il existait au XIXème siècle

- mais tel qu’il existe, je dirais, au XXème siècle. Ce que font les pays de la Méditerranée, ceux qui ont compris la situation.

- Et songez à l’Algérie. Or ce qui s’est passé en Algérie, c’est passé aussi en Italie.

- Quand l’Italie a rattrapé le temps perdu, elle a rattrapé le temps perdu en se dirigeant, je dirais vers les modernités les plus évidentes du monde industriel.

- Si bien qu’être en retard, c’est la possibilité un jour ou l’autre de prendre des bottes de sept lieues et de courir plus vite que les autres.

- (Silence)

- La Méditerranée d’aujourd’hui est une Méditerranée qui est en train de reprendre considérablement, j’allais dire, du poil de la bête, ce qui ne conviendrait pas,

- elle est en train de reprendre sa place à travers le monde de façon assez brillante.

- (Silence)