Contexte
Le Chinotto
Mayalen Zubillaga
Le chinotto (chinotti au pluriel) est un petit agrume qui pousse sur un arbre (citrus myrtifolia) originaire de Chine (chinotto veut dire « chinois »). L'arbre fut introduit en Italie via la ville de Savone, en Ligurie, vers 1500. Aujourd'hui, il est cultivé essentiellement dans la région de Savone, mais aussi en Sicile et en Calabre. Sa récolte a lieu entre septembre et novembre.
Très vite, le chinotto, dont la saveur naturelle est très amère, fut transformé en fruit confit. La variété qui pousse en Ligurie, avec sa petite taille, sa peau épaisse et son parfum intense, se prête en effet particulièrement bien au confisage. En 1800 fut fondée la coopérative des producteurs de chinotti et, en 1877, le premier atelier à connaître un succès national et à l'étranger s'installa à Savone (cette entreprise dénommée Silvestre-Allemand appartenait à un Français venu d'Apt, capitale mondiale du confisage). La production du chinotto confit connut son apogée au tournant des XIXe et XXe siècles, mais les années 1920 sonnèrent le début d'une crise durable suite à une succession inhabituelle d'hivers très froids.
Aujourd'hui, la production a considérablement diminué, tout comme la tradition du confisage. Quelques entreprises fabriquent encore des produits à base de chinotto (confitures, moutardes), mais c'est surtout une boisson qui porte dans le monde entier le nom du chinotto : il s'agit d'un soda doux-amer, consommé en Italie et partout où se trouvent des communautés italiennes, qui s'affiche comme un concurrent du Coca-Cola nord-américain. Il en existe des versions artisanales et industrielles.
L'extrait présenté ici atteste de l'engouement, en Italie, pour les recettes dites traditionnelles et les produits locaux, en opposition aux produits industriels (même si la boisson la plus connue est produite par la puissante entreprise San Pellegrino, qui l'aurait créée dans les années 1930 – mais les anthropologues savent bien que l'on ingère des symboles autant que des aliments). La nostalgie d'un mode de vie rustique est pourtant assez récente en Italie : jusqu'à la moitié du XXe siècle, les populations rurales se nourrissaient relativement mal, avec une frugalité subie et non choisie. Dans un contexte d'industrialisation de l'alimentation, les produits considérés comme « authentiques » rassurent et s'érigent contre l'uniformisation supposée de la mondialisation, auréolés d'un imaginaire de ruralité heureuse qui offre aux mangeurs des produits bons pour les papilles, le corps et l'esprit.
C'est dans ce contexte qu'est né, en Italie, le mouvement Slow Food. Il milite, depuis les années 1980, pour « combiner le plaisir avec un profond sens de responsabilité à l’égard de l’environnement et du monde de la production agricole ». Slow Food a lancé en 1996 l’Arche du Goût, grand projet de sauvegarde et de mise en valeur des produits alimentaires menacés d’extinction par la standardisation industrielle. Parmi les produits répertoriés, les « sentinelles » font l'objet d'une promotion particulière. Or, en 2004, le chinotto di Savona est devenu une sentinelle pour sauvegarder la production du fruit et relancer la tradition du confisage.
Le succès du chinotto témoigne enfin du goût singulier des Italiens pour l'amertume. Salades (roquette, trévise, puntarelle, chicorée), légumes (artichaut violet, aubergine), fruits (chinotto, orange amère, amande), boissons (Campari, Chinotto), café, huile d'olive, olives noires... autant de produits typiquement italiens qui présentent une amertume plus ou moins marquée. Alors que le goût sucré est naturellement apprécié par l'être humain, l'amer provoque un réflexe de rejet car, dans la nature, de nombreuses de plantes amères sont toxiques. L'aversion pour l'amer est donc innée, mais son appréciation est culturelle !
Bibliographie :
DICKIE John, Delizia ! Une histoire culinaire de l'Italie, Buchet Chastel, 2007.
GIRAUD Alexandre, L'amer, Éditions Argol, 2011.
PETRINI Carlo et PITTE André « Comment retrouver l'art de bien manger ? », La pensée de midi n° 13, 2004.